Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
Vom Netzwerk:
froid, se plaignit Brown.
    — Tiens, voilà du café, déclara l’un des gars en se
penchant pour déposer un glaviot de jus de chique dans la plaie à vif de son
crâne. C’est l’onguent idéal pour ces salauds de métisseurs. »
    Encore animé d’un faible souffle, le corps fut balancé à la
porte de la cabane familiale, tandis qu’on criait à sa femme horrifiée :
« Voilà Brown ! »
    Les yeux sombres et dansants de Potter étaient devenus fixes
comme des galets du désert. Non seulement il regardait Liberty en face, mais il
voyait en lui, et cherchait dans l’âme béante du garçon des signes de
reconnaissance. « Ces gens-là, prononça-t-il gravement, c’étaient des
gerbeux.
    — Fais comme tu veux, concéda Thatcher. Le Territoire,
ce n’est pas Veracruz. »
    Roxana restait à l’écart, sinon de la table du moins de la
conversation, que peut-être elle n’entendait même plus, son regard vague fixé
sur une fenêtre proche dont le châssis verni encadrait dans sa vitre un reflet
pâle et déformé de la salle illuminée et de ses occupants, qui flottaient avec
une splendeur fantomatique dans un rectangle de pure obsidienne.
    Au fil des années, l’appel de l’Ouest, aussi persistant et
irrésistible que le désir sexuel, en était venu à assumer une présence quasi
physique, tel un gamin délaissé et débraillé demeurant au côté de Potter, loyal
et fiable comme une arme favorite, et ce garnement morveux et malodorant le
tirait sans cesse par la manche, le suppliait de ses yeux bien trop immenses
pour un si petit enfant, étrangement vides et curieusement froids, comme si
là-bas, sur ces terres providentielles qui s’étendaient juste derrière la
prochaine colline, par-delà les limites et les coutumes du temps, dans la boue
de la forêt ou la plainte de la prairie, on pouvait retrouver les parents
indignes qui avaient perdu la trace de leur charmant bambin.
    Et c’est ainsi que, une fois de plus, Potter hissa en selle
sa masse non négligeable et franchit les montagnes, puis les bois de
Pennsylvanie, et pratiquement les mêmes pâturages de l’Ohio qu’il avait déjà
traversés neuf ans plus tôt, appâté par le soleil qui déclinait chaque nuit
entre les oreilles nerveuses de son cheval pie, s’accordant des repas et du
sommeil en quantité et à intervalles raisonnables, la hâte et la témérité de
son équipée précédente ayant laissé la place à une détermination magnétique qui
l’entraînait lentement mais implacablement vers l’avant – vers
l’embarcadère de Weston, la traversée en bac du Grand Fleuve Boueux et la
sensation inédite de laisser les États-Unis derrière lui, pour pénétrer sur le
Territoire du Kansas, où le ciel était si inexorablement vaste, si présent, qu’on
avait toujours l’impression d’en garder un morceau collé au coin de l’œil,
qu’on soit dehors ou dedans. D’où qu’on regarde, la terre glissait comme ivre
vers l’horizon, sur une douce houle de hautes herbes ondulantes et festonnées
de rouge. Enfin, guidé par une boussole interne dont l’infaillibilité avait
résisté à toutes les épreuves, si extravagantes fussent-elles, qu’une vie
vagabonde et supposée errante avait pu lui infliger, Potter déboucha sur la
route de la Californie et passa la ville de Lawrence en plein essor, insolent
avant-poste de la vertu yankee dans toute sa raideur, avec son majestueux hôtel
de brique à deux étages, les tavernes prises d’assaut qui dispensaient par
tonneaux entiers du whiskey à dix cents la dose, les huttes de terre et les
cabanes en peuplier sur les bords de la rivière Kaw, les machines à vapeur
importées qui s’activaient nuit et jour à réduire des troncs de noyer et
d’acajou en planches lisses comme la main d’une valeur inestimable, au cri d’une
machine – Une terre d’hommes libres ! Une terre d’hommes
libres ! – répondant aussitôt une autre – Pas d’esclaves
ici ! Pas d’esclaves ici ! –, et il poursuivit son chemin entre
des murs bruissants de tournesols plus hauts qu’un homme en haut-de-forme,
inclinant leur tendre tête d’un air interrogateur, jusqu’à ce qu’il se
retrouve, par un sombre minuit, posté sur une plaine venteuse au milieu d’une
compagnie de Régulateurs armés, à observer, avec un intérêt pas exclusivement
professionnel, la lueur mate de forge qui palpitait incontrôlable au bord noir
du monde, trop lointaine pour qu’on distingue le

Weitere Kostenlose Bücher