La polka des bâtards
d’égards et de
reconnaissance sociale qu’ils n’étaient disposés à lui en accorder. Elle
l’entendit, debout dans la poussière, appeler Hokie afin qu’il vienne s’occuper
de son cheval. Vu la tournure que prenaient les choses dans ce noble domaine, il
serait encore là à minuit, attendant en vain, les rênes à la main.
Elle resta assise à regarder l’eau couler entre les arbres
jusqu’à se plonger dans une vague transe (procédé qu’elle avait mis au point
très jeune, le jour où elle s’était cassé le bras en tombant dans l’escalier,
pour ne pas devenir folle de douleur), où son cerveau parut se figer et flotter
en suspension dans son crâne, sans que la moindre pensée ne vienne franchir
l’horizon de son esprit. Elle ne savait pas depuis combien de temps durait cet
état second lorsque des coups aussi soudains que péremptoires résonnèrent à la
porte.
« Roxana ! » cria son père d’une voix
impérieuse.
Elle se tourna léthargiquement vers la porte et s’adressa au
panneau de bois mort plutôt qu’à l’être vivant qui se tenait derrière.
« Oui, répondit-elle d’une voix blanche.
— Nous avons une visite. Je veux que tu descendes et
que tu montres un semblant de politesse. »
Pas de réponse.
« Roxana !
— Je n’ai pas envie, dit-elle enfin.
— Je ne veux pas que tu te caches ainsi dans ta
chambre. Ce n’est pas correct.
— Peut-être auriez-vous dû y penser avant de me frapper
comme une vulgaire servante.
— Ouvre la porte. » Il secoua la poignée
impatiemment. « Ouvre la porte. Je veux te parler. »
Le verrou fut tiré dans un raclement, et Asa força doucement
l’entrée. Roxana se tenait raide au milieu de la pièce et regardait fixement la
fenêtre. Il referma la porte derrière lui.
« Roxana, se contenta-t-il de dire. Excuse-moi. Je me
suis énervé. C’est honteux, et je n’en suis pas fier. Tu sais bien que tu es ma
chérie, mon seul trésor au monde. Je ne veux pas qu’il t’arrive du mal,
jamais. »
Elle demeura silencieuse, sans le regarder.
« Viens ici, mon cœur, viens voir ton papa. » Il
lui tendit les bras.
Enfin elle se tourna vers lui, s’approcha et s’effondra
contre sa poitrine, en pleurs. Il l’étreignit jusqu’à ce que s’apaisent ses
sanglots convulsifs. Puis il dit, avec un sourire intérieur : « Tu
sais que tu as la langue bien pendue, toi. Tu tiens ça de ta mère, je suppose. »
Roxana se dégagea et s’essuya les joues avec ses mains.
« Le Dr Quake s’est enquis de toi. Tu vas descendre et
au moins saluer ce pauvre homme, n’est-ce pas ? »
Elle hocha la tête.
« Bien. Nous serons sous la véranda pour des
rafraîchissements. » Et il sortit.
Restée seule, elle s’assit au bord du lit et regarda ses
mains. Ces deux choses pâles et tendres. Qu’allaient-elles faire de sa vie,
quelle forme allaient-elles lui donner ? Peut-être valait-il mieux
travailler de ses mains que se monter la tête. Elle se dit qu’elle pensait sans
doute trop et à trop de choses, des choses dont les jeunes filles et les femmes
ne devraient pas se soucier. Elle décréta que désormais elle ne penserait plus,
ou en tout cas qu’elle penserait moins. Cette idée la calma. À présent, elle était
prête à s’habiller et à affronter la compagnie d’autrui.
Une fois présentable, elle s’étudia dans le miroir. Tout
était parfaitement à sa place, hormis son expression. Elle essaya une
succession de sourires jusqu’à ce qu’elle en trouve un qui convienne au bon
docteur.
Quake et son père étaient confortablement installés dans des
fauteuils moelleux apportés du salon. Ils avaient les pieds posés sur la
balustrade. Chacun tenait un cigare dans une main et un verre de whiskey dans
l’autre.
« Mais qui voilà ! s’écria le Dr Quake, qui se
leva précipitamment pour lui faire le baisemain. J’espérais si fort que vous
trouveriez le temps de vous joindre à nous.
— Vous savez bien que je suis incapable de me tenir à distance
lorsque vous venez nous rendre visite, docteur Quake, répondit-elle en arborant
le fameux sourire, tout en regardant son père par-dessus l’épaule du médecin.
— C’est toujours un plaisir, un plaisir rare, de
partager une portion d’une superbe journée en aussi délicieuse compagnie que la
vôtre, Miss Roxana.
— Mais tout le plaisir est pour moi, docteur.
J’apprends tellement à vous écouter parler.
— Asseyez-vous, je
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