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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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comme un garçon : arrogante, tenace, courageuse voire
téméraire. Et franchement, à ce stade, je ne vois guère ce qu’on pourrait y
changer.
    — Mais pourquoi vouloir la changer ?
    — Parce que, expliqua Père en haussant peu à peu le
ton, je ne veux pas voir la seule fille qui me reste ostracisée par la société,
dédaignée par les hommes, et condamnée à la solitude amère d’une vieille fille.
    — Je suis sûre, intervint Roxana, qu’il y a des hommes
qui trouveraient mes idées stimulantes, peut-être même follement inspirantes.
    — Bonne chance pour en trouver un !
    — Vous souvenez-vous du jeune Hampton ? demanda le
Dr Quake. Cela remonte à quelques années.
    — Comment l’oublier ? gronda Père. Celui qu’on
appelait Reed. Un dégénéré, un rebelle, et pour finir un renégat. Donner des
armes aux nègres ? Qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ?
    — Je me rappelle avoir entendu dire que son père était
un tyran.
    — Dans ce cas, monsieur, il fallait l’affronter
directement, au lieu de mettre le pays sens dessus dessous à cause d’une
querelle familiale. Le vieux Win Spencer est mort d’une crise cardiaque à la
nouvelle de cette révolte, pourtant écrasée.
    — Et maintenant, Middleton.
    — Oui, Middleton, et tous ces agitateurs nordistes, avec
leur propagande abolitionniste ! Tous ces maudits étrangers qui viennent
fourrer leur nez dans des affaires qui ne les regardent pas et auxquelles ils
ne comprennent rien.
    — L’injustice, à mon sens, cela regarde tout le monde,
dit Roxana.
    — Oui, concéda Père, il est légitime que les gens s’en
soucient… à condition que cette injustice existe.
    — Tout bien considéré, dit le Dr Quake avec douceur, en
s’adressant à Roxana, c’est un monde fort trouble que celui où nous vivons, et
il est difficile d’y voir clair. »
    Au même instant, une énorme silhouette noire vêtue d’une
robe en calicot de couleur vive surgit des champs et fila entre les arbres,
essayant à toute force de gagner la rivière. Le devant de la robe était
éclaboussé de ce qui ressemblait à du sang frais.
    « Qu’est-ce que c’était ? s’écria le Dr Quake.
    — Je crois que c’est Nicodemus », dit Roxana d’une
voix tremblante.
    Père se leva d’un bond, se pencha par-dessus la balustrade
et cria : « Nicodemus ! Nicodemus, arrête ! » En vain.
La silhouette disparut parmi les arbres de la berge. Tout se passa si vite que
personne n’était sûr d’avoir bien vu.
    Père descendit les marches, s’avança sur le gazon et se mit
à scruter les champs. Pas de poursuivant. Il attendit, aux aguets. « Il
vaut mieux que j’aille voir de quoi il retourne », dit-il enfin. Et il
s’éloigna sur la pelouse.
    « Je crois que je n’ai jamais vu un garçon courir aussi
vite, déclara le Dr Quake.
    — C’est un homme, un adulte, répliqua sèchement Roxana.
Je crains qu’il ne soit arrivé quelque chose d’horrible. »
    Tous deux levèrent les yeux en entendant le cri perçant
d’une femme affolée qui émergeait laborieusement du champ en agitant les bras
au-dessus de sa tête : elle trébucha, tomba à genoux, se releva et reprit
sa course, sans cesser d’appeler d’une voix essoufflée : « Maître
Maury ! Maître Maury ! »
    Roxana et le Dr Quake se hâtèrent de rejoindre Père auprès
de cette femme qui gémissait, le nez dans la poussière.
    « Qu’est-ce que c’est, Patsy ? demanda Père d’une
voix impérieuse. Qu’est-ce qui s’est passé ?
    — Une chose terrible, Maître, parvint-elle à balbutier
entre deux halètements. Terrible. Nicodemus, il a tué M. Dray, pour de
bon. Il est tout mort. Il lui a planté sa houe dans la poitrine. Et puis il
s’est mis à couper et à trancher, et il lui a creusé un sillon dans tout le
corps. J’ai jamais rien vu d’aussi terrible : il y avait du sang partout,
par seaux entiers, il n’en restait plus rien, on n’aurait même pas pu dire que
c’était un homme. »
    Le visage enflé de Père avait pris une teinte cramoisie que
Roxana ne lui connaissait pas. « Et qu’est-ce qui a provoqué cet acte
criminel ? demanda-t-il froidement.
    — C’est M. Dray, Maître. Il a passé toute la
semaine à cogner sur Nicodemus, et aujourd’hui, quand Nicodemus a dit qu’il
avait encore mal au dos des coups d’hier et qu’il pouvait pas biner,
M. Dray l’a traité de petite vieille et a envoyé Jenny chercher une

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