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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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êtes née pour être plus heureuse
que ça. Allez, d’accord, je vous raconte ce qui s’est passé cette nuit si vous
me promettez de ne pas dire à âme qui vive d’où vous le savez. »
    Roxana se redressa, regarda Sally droit dans les yeux.
« C’est promis.
    — Bien. Vous savez que Nicodemus est un excellent
coureur. Personne n’était capable de le rattraper. Alors il est arrivé à la rivière
bien avant tout le monde et il a traversé à la nage, et les chiens n’étaient
pas encore arrivés qu’il était déjà de l’autre côté. Alors Maître Asa et tous
ses traqueurs d’esclaves ont dû galoper jusqu’au pont pour essayer de retrouver
sa piste sur l’autre rive, mais ça leur prend longtemps, peut-être que l’eau
avait lavé l’odeur de Nicodemus, ou peut-être qu’il s’était mis une poudre
spéciale, en tout cas ils passent au moins une heure ou deux à faire courir
leurs clébards dans tous les sens parmi les buissons jusqu’à ce qu’enfin ils se
mettent à hurler tous en chœur et à foncer dans la même direction et les
cavaliers leur filent au train, et ça dure presque toute la nuit, et ils crient
et ils tirent et ils agitent leurs lanternes et puis, à un moment, au plus
profond du noir de la nuit, tous les chiens se mettent à renifler un arbre et à
japper et à sauter parce que là-haut, sur les toutes petites branches, y avait
le vieux Nicodemus en personne. “Descends de là !” ils hurlent, mais il
refuse, même quand ils secouent l’arbre. Quoi qu’ils fassent, il ne voulait pas
bouger. Alors l’un des hommes a sorti son arme et il a tiré et Nicodemus a
dégringolé en bas, mais il était encore vivant, alors ils ont pris une corde et
ils l’ont pendu à l’arbre et tandis qu’il pendait ils lui ont encore tiré
dessus. Alors le vieux Nicodemus, il ne rentrera pas à la maison. Plus jamais.
Et ça, c’est la vérité vraie. » Elle se retourna vers ses poêles et ses
casseroles. « Alors, vos œufs, vous les voulez comment ? »
Roxana ne répondit pas. Elle resta à regarder les mains de Sally soulever des
couvercles et remuer avec une grande cuiller. Et puis, brusquement, elle bondit
de son siège, courut dans le vestibule en frôlant sa mère qui cria son nom, et
fila dans sa chambre, où une fois de plus elle verrouilla la porte, s’effondra
sur son lit et pleura et pleura jusqu’à n’avoir plus de larmes. Elle garda la
chambre pendant deux jours sans voir personne, indifférente aux supplications
de ses proches, aux plateaux de nourriture dûment déposés à sa porte à l’heure
des repas et qu’on remportait intacts. Elle haïssait son père, elle haïssait sa
mère, elle haïssait cette maudite maison, et elle haïssait aussi les esclaves,
et les chiens et les chats et les poules. Elle sortit le vieux sac de voyage de
Grand-mère, le remplit d’affaires et le déposa soigneusement près de la porte.
Elle mijota dans sa tête mille trajets possibles vers mille destinations
différentes, mais chaque fois l’imagination lui manquait, se perdait dans le
vide d’avenirs impensables. Comment vivrait-elle ? Et de quoi ? Au
troisième jour, elle ne se sentait plus capable de ressentir quoi que ce soit.
Elle quitta sa chambre et rejoignit sa famille, mais elle ne parlait guère. Sa
mère s’agitait, son frère la taquinait. « Laissez-la tranquille, conseilla
Père. Ça finira par lui passer. »
    Et puis, lors d’une des séances hebdomadaires de charité, où
Mère apparaissait à l’arrière de la maison avec un seau de pièces de dix sous,
et où l’on convoquait les enfants du quartier des esclaves pour qu’elle puisse
en lancer par poignées à ses « négrillons » folâtres, Roxana perdit
son calme, empoigna le seau et jeta la monnaie dans le puits. Et lorsque sa
mère prétendit la réprimander, elle ne voulut rien entendre, se contentant de
dire : « Où est Eben ? Je veux faire une promenade.
    — Et où crois-tu aller ? demanda Mère.
    — Dehors ! Loin d’ici, loin de vous.
    — Je ne tolérerai pas que l’on me parle comme
ça », dit Mère, tandis que Roxana lui tournait le dos et s’éloignait à
grands pas. Elle trouva Eben à l’écurie, somnolant sur une meule de foin. Il
fut ravi d’atteler la calèche et d’emmener en promenade la douce Miss Roxana.
Lorsqu’ils contournèrent la maison, Mère se tenait sous la véranda, raide comme
un piquet, les lèvres serrées, le regard froid. Elle ne prononça

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