Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
Vom Netzwerk:
fait le trajet
si souvent qu’elle aurait pu retrouver son chemin même dans une obscurité
totale : traverser les quartiers, contourner le coin nord d’un champ
labouré, franchir les buissons et descendre la pente jusqu’au lieu de prière.
Une foule était déjà rassemblée, agenouillée en cercle, dans un silence plein
d’attente. De nouveau, on la salua poliment, gentiment, et on lui fit une place
pour qu’elle s’agenouille à même le sol avec les autres. Bientôt, une brèche
s’ouvrit dans l’assistance pour laisser passer un homme immense et fervent, le
front haut, les yeux vifs et lumineux, vêtu d’une redingote propre et de vraies
chaussures : Oncle Dan, le prédicateur. Il ne salua personne, même s’il
les connaissait tous et que tous le connaissaient : sans le moindre regard
ni à gauche ni à droite, il allait de l’avant, confiant, comme protégé par une
bulle invisible, celle de son charisme et de sa mission solennelle. Il se mit à
genoux au centre du cercle, attendit quelques instants, puis rejeta la tête en
arrière pour contempler, entre les arbres, le ciel de la nuit, et les gouttes
de lumière qui le parsemaient généreusement. Enfin, inclinant la tête vers le
sol, il ouvrit la bouche et prit la parole d’une voix rauque qui était presque
un murmure :
    « Venez à moi, vous qui peinez et ployez sous le fardeau,
et je vous donnerai le repos. Nous sommes ici dans le domaine du Seigneur et la
vérité de Dieu, qui a créé tous les hommes à partir d’une unique boule de
glaise et les a fait asseoir sur le même banc, épaule contre épaule, les yeux
dans les yeux. Il a prononcé les paroles plus fortes que toutes les chaînes et
Sa volonté ne sera pas ignorée, ne saurait être moquée. J’ai vu les choses
qu’il m’a montrées et j’ai senti Sa puissance peser sur mes épaules, et j’ai
voulu me lever mais je ne pouvais pas. J’ai voulu voir mais Il a retiré ce
monde terrible pour m’en montrer un autre. J’ai vu le trône, et il était d’un
or si resplendissant qu’il brûlait ma vision. Et j’ai vu un trône placé là pour
moi et j’ai vu un trône pour chacun d’entre vous, baignés de la gloire du Ciel
et disposés de façon à épeler un mot. Je ne sais pas lire, vous le savez, mais
j’ai le Livre en moi, qui me réchauffe le cœur, et quand j’ai vu cette
multitude de trônes vides qui attendaient la venue de leurs occupants légitimes
quelque chose en moi a pu lire ce mot, aussi clair que le soleil levant, et
j’ai su que ce mot était “ LIBERTÉ ”.
    « Alors, aussi vite que j’avais été élevé jusque
là-haut, j’ai été ramené ici-bas, et j’ai vu mon corps étendu au sol devant
moi, et il était mort et gisait au seuil même de l’enfer et je me suis mis à
trembler et à frémir, mais Dieu s’est penché et m’a parlé, et Il m’a dit :
“C’est là le corps du péché auquel Je t’ai arraché. Je suis avec toi à compter
de ce jour, et désormais chaque pas que tu accompliras te rapprochera de la
délivrance, du jour où tu seras libéré des tourments et des vices de la maison
de servitude. Telle est la promesse que Je te fais, et à mesure que tu porteras
la Parole à tes frères et à tes sœurs, telle est la promesse que Je leur ferai.
La foi sera ta force. Ne désespère pas. Le jour du Jugement est proche, où les
premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers, tous unis
dans la puissance et la gloire pour les siècles des siècles, amen.”
    — Amen ! s’écria une voix.
    — Chut, réagirent d’autres voix. Taisez-vous. »
    La sueur dégoulinait sur le visage d’Oncle Dan.
Solennellement, il regarda tour à tour chacun de ses paroissiens des bois, sans
paraître pourtant en voir aucun. Il voit en nous, se dit Roxana les larmes aux
yeux, il voit jusqu’à notre corps spirituel. Une femme s’effondra en gémissant
sur le sol sablonneux. On entendit quelques cris, aussitôt étouffés. Oncle Dan
ferma les yeux, comme en prière. Lorsqu’il les rouvrit, il dit :
« Notre Maître Divin est un dieu bon et juste. Nous n’aurons pas souffert
en vain. Les péchés d’un peuple asservi sont infimes aux yeux de Dieu, comparés
aux péchés de ceux qui les asservissent. Mais la fin est proche, mes frères. Le
Seigneur m’a montré qu’il en est ainsi. Le jour où les chaînes fondront au feu
des flammes, où le fouet échappera à la main qui le tient, ce jour-là approche
à grands pas.

Weitere Kostenlose Bücher