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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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échauffé et trempé de sueur.
    « Si seulement, dit le premier, ce foutu soleil voulait
bien tomber du ciel.
    — Tu parles, répliqua l’autre, il est même pas midi.
T’as encore largement le temps de te faire tuer, t’inquiète pas. »
    Tous deux ignorèrent Liberty, qui franchement était quelque
peu abasourdi par l’énormité croissante de la situation : le destin avait
apparemment décidé, pour quelque motif secret, de le renvoyer au bal pour une
nouvelle valse.
    « Et pourquoi diable tu es toujours aussi charmant avec
moi ? »
    Le soldat suant cracha dans l’herbe un torrent de jus de
chique.
    « Parce que je t’aime trop, Huntzinger, tu ne comprends
donc pas ? »
    Huntzinger, refusant de répondre, se détourna d’un air
dégoûté.
    On aboya des ordres et la ligne commença bravement à
avancer, le corps légèrement raidi, la tête baissée, comme pour affronter un
vent déchaîné. Au bout de vingt mètres à peine, les hommes se mirent à tomber
comme des quilles. Les balles sifflaient tout autour d’eux, les canons
continuaient de tonner, et leur bruit combiné était assourdissant, comme si une
galaxie de rochers roulait éternellement au bas d’une haute montagne. Sous les
yeux stupéfaits de Liberty, tout le bras droit de Huntzinger, épaule comprise,
fut arraché, et tandis qu’il s’effondrait Liberty vit clairement son cœur à vif
palpiter encore dans sa poitrine empourprée. Les hommes poussaient d’étranges
cris déchirants dont on aurait cru incapable même une bête torturée. Liberty
sentit une balle percer la manche de sa veste, une autre forer un trou dans sa
gourde, répandant sur sa jambe de l’eau en cascade. Les drapeaux des régiments
des deux camps, tout emmêlés, oscillaient furieusement au-dessus de la fumée
comme si ces lambeaux de tissu aux couleurs vives étaient les véritables héros
d’un combat où les humains ne seraient que des figurants. Un homme s’approcha
en rampant sur les épis brisés, traînant derrière lui ses entrailles.
« Tout va bien, psalmodiait-il, tout va bien. »
    L’armée confédérée émergea de la brume face à eux, et la
ligne reçut l’ordre de halte. « Faites-en du pâté, les gars ! »
cria le lieutenant, et tout le monde se concentra sur la tâche monotone de
recharger et de tirer. L’hystérie contrôlée de leurs gestes s’accompagnait de
la conviction mystique que plus on allait vite, plus on tirait de coups, et
plus on serait en sécurité. Ils n’étaient plus des hommes mais, transmutés par
la forge du combat, des pièces mécaniques, les rouages interchangeables et
ronronnants d’une machine infernale dont le créateur démoniaque avait non
seulement fabriqué mais personnellement sélectionné chacun de ces individus
pour servir ses desseins et satisfaire ses besoins carrément maléfiques.
    Et puis, au cœur de l’enfer ambiant, Liberty aperçut un
Confédéré, à moins de trente mètres, qui épaulait et le visait directement, et
il pensa : Je ne peux pas croire que ça m’arrive à moi, tandis que tout le
bruit et la fureur s’effaçaient, se fondaient dans un nébuleux nuage au centre
duquel sa vision se concentrait exclusivement sur l’énorme canon de l’arme et,
derrière, le regard plissé, rond et brûlant comme une balle, et le temps
s’arrêta comme si l’œil d’un grand cyclone de fer passait au-dessus de lui, et
dans cet intervalle irréel de calme et de silence il s’entendit dire :
Cette fois je suis mort. Il vit la flamme jaillir du canon, et puis plus rien.
    Lorsqu’il se réveilla, il se retrouva assis sur une chaise
dure et assez inconfortable, dans un salon agréablement meublé mais inconnu. En
face de lui, dans un rocking-chair bleu pervenche, était assise sa mère, ou en
tout cas une femme qui ressemblait à Roxana en tous points, des rides de son
visage aux taches de rousseur sur son nez et ses joues ; mais la sensation
qu’il avait d’elle, de son être intérieur, paraissait d’une nature qu’il
n’avait jamais connue. Elle avait changé, ou peut-être était-ce lui qui avait
changé, car elle irradiait à présent une douceur de chandelle qui lui avait
toujours manqué.
    « Tu as l’air fatigué, dit-elle de sa voix inimitable,
familière, apaisante, avec sa discrète pointe d’accent. Tu as été malade ?
    — Non », répondit-il avec un léger sourire. Jamais
il ne s’était senti aussi heureux. « Ce fut un long voyage. »
    Elle hocha

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