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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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la tête. « Je connais à présent la réponse à
ta question.
    — Quelle question ?
    — Celle qui te rongeait tant quand tu étais enfant.
“Quelle est la couleur de l’âme ?” Tu demandais ça tout le temps. Eh bien,
je sais à présent que c’est la couleur de l’incolore.
    — Le blanc ? »
    Son faible sourire mélancolique évoquait le franchissement
de vastes distances, l’abrègement du temps physique. « Il n’est pas de mot
adéquat pour décrire les propriétés de l’âme humaine. Sa teinte unique ne peut
être appréhendée que par une optique visionnaire. » Ses yeux magnétiques
semblaient plus grands et plus brillants. « Et maintenant, approche »,
dit-elle en lui tendant les bras.
    Il la rejoignit, et dans sa chaude étreinte, enveloppé dans
le parfum naturel de ses cheveux et de sa peau, il goûta cette paix qui était
le cœur indestructible d’un monde déchaîné, et dans le calme somnolent de ce lieu
enchanté il sut, avec une absolue certitude, que sa mère était morte.
    « Hé, compagnon ! fit la voix, d’abord faible et
lointaine, puis de plus en plus proche et sonore. Ça va ? »
    Liberty cligna des paupières et ouvrit les yeux sur le
visage plutôt bienveillant d’un ange grassouillet, à tunique bleue et barbe
rousse, dont le blanc des yeux était si pur, si incroyablement immaculé, que
c’était comme un îlot de propreté dans un corps par ailleurs fort crasseux.
« On a bien cru que t’avais pris un aller simple.
    — Ouais, ajouta son comparse courtaud, on allait te
balancer dans le trou.
    — Elle t’a bien fripé, hein ? »
    Liberty leva la main pour tâter prudemment le sillon brûlant
ouvert dans sa joue et sa tempe, en une symétrie étonnante avec sa précédente
blessure. Il examina ses doigts : ils étaient couverts de sang, de même,
comprit-il enfin, que tout le côté droit de son visage.
    « Faut croire que c’était pas encore ton tour. Tu
penses pouvoir tenir debout ? »
    Le ciel se vidait rapidement de sa lumière, et aux décibels
dissonants de la guerre avaient succédé les plaintes feutrées des blessés, les
raclements et tintements mélancoliques de la pelle et de la pioche. Liberty
examina la physionomie rayonnante de ses sauveurs, visiblement de corvée de
fossoyage, et demanda : « Qui a gagné ? »
    Le courtaud poussa un hennissement méprisant :
« La Faucheuse. »
    Tant bien que mal, avec l’aide délicate de ses nouveaux
amis, le sergent Weeks et le soldat Klinefelter, Liberty parvint à se mettre
debout et, soutenu par leurs bras, à quitter le champ en claudiquant
péniblement.
    Dans une grange qu’emplissaient, des stalles au grenier, les
blessés, leurs plaintes et leurs effluves, on lui nettoya et pansa la tête.
Allongé sur une table d’opération de fortune – une porte posée sur deux
tréteaux –, un malheureux endurait une amputation de la jambe gauche sans
anesthésie. Ignorant ses jurons angoissés mais inventifs, le chirurgien
procédait rapidement : il trancha et détacha la viande d’un seul mouvement
de scalpel, puis scia l’os, le tout en moins d’une minute. « Hé,
Fish ! » cria l’homme tandis qu’on lui recousait et bandait son
moignon. C’était le soldat McGee. « Je t’ai cherché toute la journée, et
regarde ce qui m’arrive.
    — Je suis désolé, dit Liberty.
    — Ne crois pas une seconde que ce petit inconvénient
change quoi que ce soit entre nous. Où que tu ailles, quoi que tu fasses, McGee
Jambe-de-Bois finira par te retrouver. Alors fais gaffe.
    — Adieu, monsieur McGee. Je te souhaite bonne
chance. »
    Il sortit et s’assit sur un banc, en proie à une hébétude
bourdonnante qu’interrompit son voisin quand il ouvrit la bouche pour dire, à
personne en particulier, et en regardant droit devant lui : « Non
seulement j’ai vu l’éléphant, mais je l’ai nourri, arrosé, j’ai astiqué ses
défenses, ramassé ses crottes, et pourtant, malgré toutes mes attentions, dès
que j’ai eu le dos tourné, ce foutu animal essaie de me piétiner, de
m’écraser. » Il leva l’aile tronquée à laquelle se réduisait son bras
gauche.
    « Peut-être que maintenant, dit Liberty plein d’espoir,
après ce bain de sang, ça va enfin finir.
    — Et peut-être aussi que mon bras va repousser. »
    C’est alors qu’un médecin qui passait, remarquant que
Liberty était à peu près en état de marche, lui ordonna sèchement de rejoindre
son

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