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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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Jeanne, et
je crois qu’elle l’enviait un peu.
    Bien souvent, elle me confiait, en parlant de mon père :
    — Je souhaiterais qu’il ait été handicapé aussi, quand
il a été blessé au bras. Au moins, il ne serait pas parti !
    Mais, hélas ! c’était ainsi, et nous n’y pouvions rien.
    Nous avons dû apprendre aussi à vivre dans la guerre. Tout
fut réquisitionné, à commencer par les chevaux et les voitures. Au début du
mois d’octobre, nous avons compris que, contrairement à nos illusions, ça
devenait sérieux. Les Allemands occupèrent la région, et prirent possession de
la mine. Avec Charles et Marie, je montais en haut du terril. De là, nous les
regardions passer, dans des chars à bancs tirés par des chevaux. Ils chantaient,
eux aussi, en allant au front, et nous ne les trouvions pas si différents de
nos soldats, après tout.
    Nous avons vu, du haut de ce terril, des défilés entiers de
réfugiés de Belgique, du Nord, du Pas-de-Calais, qui fuyaient, avec ce qu’ils
avaient pu emmener. C’était triste à contempler, toutes ces femmes accablées, ces
enfants qui pleuraient, et qui allaient vers l’inconnu.
    Nous, au moins, nous étions chez nous. Et si mon père nous
manquait de plus en plus, malgré tout, peu à peu nous arrivions à nous
organiser. Pour les gros travaux, comme bêcher le jardin, ou rentrer le charbon
que le livreur déversait dans la rue, devant notre porte, c’était Charles, ou
Pierre, qui remplaçait mon père. Ils travaillaient toujours à la mine, mais
contre leur volonté maintenant, car c’était pour les Allemands, qui manquaient
de charbon pour poursuivre la guerre. Mais que faire d’autre ? Là aussi, nous
avons appris à subir.
    La guerre fit, peu à peu, partie intégrante de notre vie. Nous
voyions des Allemands partout, les écoles se transformaient en hôpitaux, des
colonnes d’infanterie, d’artillerie, de ravitaillement traversaient le village,
le jour comme la nuit. Et surtout, nous devions supporter les bombardements.
    Presque tout de suite, ils commencèrent, et durèrent jusqu’à
la fin de la guerre. Ils firent beaucoup de morts, eux aussi. Nous étions
toujours en proie à la peur. Pierre et Charles, souvent, nous disaient :
    — Avec ces sacrés bombardements, on ne sait
jamais, quand on remonte du fond, ce qu’on va retrouver !
    Tout le monde fut invité à consolider sa cave. Charles et
son père vinrent mettre des soutènements en bois, et protégèrent le soupirail
par des sacs de sable. Ils percèrent le mur mitoyen séparant notre cave de la
leur ; en cas d’alerte, nous nous y retrouvions tous. Enroulés dans une
couverture, à la lueur d’une maigre bougie, nous y avons autant souffert de l’inconfort
et du froid que de l’angoisse qui nous taraudait. Ce furent là pour moi les
plus durs moments de la guerre.
    Un jour, un taube survola le village. Tout le monde se
précipita, une fois de plus, dans la cave. Marie et moi, serrées l’une contre l’autre,
ne pouvions nous empêcher de trembler. Ma mère était très pâle. Jeanne tenait
dans ses bras ses deux plus jeunes enfants, Julien et Georges, qui pleuraient. Nous
écoutions, la peur au ventre. Nous entendîmes l’avion revenir, repartir, revenir
encore. Enfin, il s’éloigna. Ce fut alors que retentit une formidable
déflagration, qui nous fit tous sursauter. Le sol trembla.
    — Mon Dieu, murmura ma mère, un obus est tombé…
    Les deux garçons, terrorisés, se mirent à sangloter
bruyamment.
    — Allons, allons, calmez-vous, dit Jeanne d’une
voix mal assurée.
    Nous guettions les bruits, extrêmement tendus. Mais nous n’entendîmes
plus rien. Le taube était parti.
    — On dirait que c’est fini, chuchota ma mère.
    Avec un mélange de soulagement et d’appréhension, nous
remontâmes à l’air libre, sortîmes dans la rue. Les autres faisaient comme nous,
et les exclamations fusaient de toutes parts :
    — Un obus est tombé tout près !
    — C’est à l’autre bout du village !
    — Il paraît que c’est derrière la forge…
    — Viens, Madeleine, me dit Marie, allons voir.
    Nous avons suivi les autres, traversé le village. Et, près
de la forge, le spectacle que nous découvrîmes nous figea sur place. Deux
maisons s’étaient complètement écroulées, ensevelissant leurs habitants. Dans l’une
d’elles vivait Amélie, une couturière. Son mari était au front, et elle était
restée seule avec ses trois jeunes enfants. Nous

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