La Poussière Des Corons
souvenir confus. J’ai dû
quitter Henri, j’ai dû rentrer chez moi, mais je m’en souviens à peine… Ce que
je sais, c’est que j’étais affreusement malade, ma migraine devenait d’instant
en instant plus pénible, et une nausée persistante me soulevait le cœur.
A la maison, tout était calme, ma mère dormait. En titubant,
j’ai gagné ma chambre. Au bord de l’évanouissement, je me déshabillai, me
couchai. Une fois dans mon lit, l’obscurité m’engloutit, et je perdis
conscience.
Je revins à moi avec une horrible sensation de malaise, sans
pouvoir la définir exactement. Il faisait grand jour. Les faits de la nuit se
mêlaient, dans mon esprit, en un magma qui ne me laissait aucun souvenir précis.
Lorsque je me levai, ma mère s’inquiéta de ma pâleur :
— Madeleine, qu’as-tu ? Tu es malade ?
J’avais l’impression que mes membres étaient en caoutchouc, et
des coups de marteau résonnaient dans mon crâne. Je dis, évitant le regard
inquiet de ma mère :
— J’ai bu du vin, hier, au bal… Je crois que c’est
ça qui m’a rendue malade.
— Du vin ? Oh, Madeleine !…
Elle ne fit pas davantage de reproches, me voyant trop mal
en point. Pleine de sollicitude, elle dit :
— Assieds-toi. Je vais te préparer une infusion.
Je m’assis à la table, et fermai les yeux. Mon mal de tête
persistait. Je laissai ma mère s’occuper de moi. Sa tendresse me faisait du
bien.
Je n’ai pas donné d’autres détails sur la soirée de la
veille. Qu’aurais-je pu dire ? Je ne savais plus très bien moi-même ce qui
s’était passé. Je préférais laisser mes souvenirs dans l’épais brouillard qui
les enveloppait. Je souhaitais oublier, si je le pouvais.
Au cours des jours qui suivirent, peu à peu, je retrouvai
mon énergie. Je ne gardai de cette soirée qu’une vague réminiscence, qui me
mettait mal à l’aise et que je m’efforçais de repousser.
Septembre s’avançait. Les journées avaient une douceur, un
charme qui annonçaient l’automne. Je passais mes dimanches avec ma mère, ou j’allais
voir Juliette, parfois. L’absence d’Henri me pesait, et nos sorties me manquaient.
Un dimanche où je m’ennuyais, j’accompagnai Charles et Pierre à un match de
football. Je m’y ennuyai encore plus. Je me sentais insatisfaite.
Juliette me donna des nouvelles d’Henri :
— Sais-tu, Madeleine, qu’il est enthousiasmé par
le travail des mineurs, là-bas ? Il travaille pour le moment dans une mine
qui vient d’être modernisée. M. Von Gerhardt, le directeur, l’a hébergé
chez lui. Sa femme et sa fille le dorlotent, paraît-il. Henri nous l’a écrit, il
est ravi !
Il ne parlait pas de moi, dans ses lettres. Insouciante, Juliette
ne s’apercevait pas de ma déception. M’avait-il si rapidement oubliée ? Et
cette jeune Allemande, la fille du directeur, était-elle mieux que moi ? Lui
plaisait-elle davantage ? Le doute me torturait.
Invariablement, je demandais :
— Quand revient-il ?
— Peut-être viendra-t-il nous voir en octobre, disait
Juliette, mais seulement pour quelques jours. Ne t’inquiète pas, ajouta-t-elle,
je te préviendrai.
Et puis, les événements se précipitèrent. Un matin d’octobre,
alors que je venais de me lever, ma mère, comme d’habitude, versa le café dans
les tasses. Je ne compris pas ce qui m’arriva. Une nausée me tordit l’estomac, une
bile amère m’emplit la bouche. Je n’eus que le temps de me lever pour aller
vomir. Ma mère, inquiète, m’avait suivie :
— Madeleine, que se passe-t-il ?
Au bord de l’évanouissement, j’étais incapable de répondre. Elle
s’effraya de me voir un visage blême, couvert de sueur. Elle m’essuya le front,
les joues.
— Ce n’est peut-être qu’une indigestion. Ça va
passer.
Je fus, ce jour-là, incapable de boire mon café. Et le
lendemain, ce fut la même chose. Il me suffisait de respirer l’odeur du café
pour ressentir aussitôt un dégoût qui me soulevait le cœur. C’était, pour moi, surprenant,
car, jusqu’alors, j’aimais bien le café. Je ne pris pas garde au regard inquiet
et scrutateur de ma mère.
Le samedi, comme d’habitude, je fis la lessive. J’allai
remplir les seaux d’eau à la pompe, je fis plusieurs aller et retour. Je me
sentais nauséeuse. Je serrai les dents, me secouai. Je plaçai le linge dans la
batteuse, et commençai à battre. Le mouvement de va-et-vient, alors que j’actionnais
le
Weitere Kostenlose Bücher