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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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père, je me sentis encore plus coupable. Moi
qui chaque jour déplorais son absence, j’étais maintenant presque heureuse et
soulagée qu’il ne fût plus là pour connaître mon état et ma honte. Pour ma mère,
même si je souffrais de lui faire de la peine, ce n’était pas la même chose. Une
femme, une mère surtout, comprend et pardonne toujours. Mais mon père, lui, n’eût
pas compris. Il aurait eu énormément de peine, et j’imaginais le regard, douloureux
et plein de reproche informulé, qui aurait été le sien. Maintenant encore, après
tout ce temps, ce m’est un soulagement de savoir qu’il est parti avec l’image
intacte qu’il se faisait de moi, et je suis heureuse de penser qu’il n’a pas
été témoin de ma chute, que cette peine-là, au moins, lui a été épargnée.
    *
    Très tôt, le lendemain matin, Juliette accourut :
    — Madeleine ! Je suis désolée pour toi, et j’ai
honte pour mon frère. Il est gentil, charmant, mais léger et irresponsable. Il
est reparti en Allemagne, sans remords, juste un peu ennuyé, c’est tout. J’ai
essayé de lui faire entendre raison, mais il ne veut rien savoir. Il dit qu’il
regrette ce qui s’est passé, mais qu’il ne peut pas t’épouser.
    Une fois de plus, je pensai avec amertume que je n’avais été
pour lui qu’une distraction. C’était mon orgueil, maintenant, qui était blessé.
    — Il dit, continuait Juliette, que tout ce qu’il
peut faire pour toi, c’est te donner de l’argent…
    — Ah non ! Je ne veux pas de son argent !
    La phrase était sortie, violente, avant même que je ne l’aie
pensée. J’avais ma fierté, et même si j’avais été suffisamment naïve pour
croire en lui, j’avais découvert ce qu’il valait, et je ne voulais rien lui
devoir. Je n’éprouvais plus qu’un intense, un profond mépris.
    — Ou alors, reprit Juliette, hésitante, si tu le veux,
j’en parlerai à mes parents… Ils accepteront peut-être de t’aider…
    Fermement, je l’interrompis :
    — Non, Juliette, je t’en prie. Si tu veux me
faire plaisir, n’en parle à personne, et surtout pas à tes parents.
    — Mais, Madeleine… Je cherche à t’aider ! Que
vas-tu devenir, dis-moi ?
    Je l’embrassai, émue :
    — Tu es gentille, Juliette, mais ne t’inquiète
pas. Je me débrouillerai.
    Pour la convaincre, j’affichai une assurance que je ne
possédais pas. Elle partit, à moitié rassurée, promettant, sur mon insistance, de
n’en pas parler à ses parents.
     
    J’ai vécu les jours suivants dans un mélange d’angoisse et
de désespoir. À l’humiliation d’avoir été abandonnée par Henri venait s’ajouter
une question sans réponse : qu’allais-je devenir ? Bientôt, je ne
pourrais plus cacher mon état, et tout le monde me montrerait du doigt. La
crainte d’être mal jugée, la honte d’être une fille perdue, d’avoir apporté le
déshonneur sur ma famille m’ôtaient tout repos.
    Par moments, j’étais littéralement affolée. Pourtant, pas un
instant je n’ai envisagé l’avortement. Je savais que, à l’autre bout du village,
vivait une vieille femme que l’on disait un peu sorcière et qui, moyennant une
somme assez importante, débarrassait les filles qui allaient la voir d’un
enfant indésirable. Mais, outre que nous n’étions pas riches, je refusais, avec
un instinct farouche et profond, cette solution. Elle représentait, pour moi, un
crime, le pire de tous : le meurtre de mon propre enfant.
    J’ai pensé à partir, aller cacher ailleurs ma honte… mais où ?
Et puis, pouvais-je abandonner ma mère ? Moi partie, l’opprobre
retomberait sur elle.
    Un soir de la semaine suivante, je pris l’excuse d’aller
chercher des poireaux dans le jardin pour dissimuler mes larmes. J’allai tout
au bout, m’assis sur le banc. Là, n’en pouvant plus, je me mis à pleurer, la
tête dans les bras, à gros sanglots.
    Je sursautai lorsque je sentis une main se poser sur mon
épaule. Croyant que c’était ma mère, je levai les yeux, et je vis Charles. Je
me détournai, incapable d’arrêter de pleurer. Je sentis Charles s’asseoir près
de moi, je l’entendis me dire avec douceur :
    — Madeleine ! Madeleine, qu’as-tu ? Pourquoi
pleures-tu ?
    Je me tournai vers lui, pour lui demander de partir, de me
laisser seule. Mais je vis, dans ses yeux, tant de tendresse que je n’en eus
pas le courage. Sans savoir comment, je me retrouvai contre lui, serrée contre
son

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