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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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les
affrontements avec la troupe. Cela m’avait tellement marquée que j’appréhendais
que cela pût, de nouveau, mal tourner. Je confiais mes inquiétudes à Charles.
    — Mais, Madeleine, disait-il, nous ne pouvons pas
continuer ainsi. Nous sommes exploités. Ils ne voient qu’une chose : le
rendement, rien que le rendement. Mais nous sommes des êtres humains, pas des
machines, quand même !
    Devant l’ampleur prise par la grève, qui s’étendit à tout le
bassin minier, les compagnies acceptèrent d’augmenter un peu les salaires.
    — Nous réclamons un salaire de vingt-huit francs
par jour, me dit Charles, et ils nous offrent vingt-quatre francs cinquante. Les
syndicats ne cèdent pas.
    Il y eut un référendum, le 21 mars. Les mineurs, à une large
majorité, se prononcèrent pour la continuation de la grève. Je m’inquiétais chaque
jour davantage : où cela allait-il nous mener ? Nos économies s’épuisaient,
je voyais arriver avec appréhension le moment où nous n’aurions plus rien. Les
autres femmes de mineurs, comme moi, étaient soucieuses. C’était à elles qu’il
appartenait de nourrir la famille, mais, sans argent, comment feraient-elles ?
    Avec soulagement, nous apprîmes quelques jours plus tard que,
les mineurs des bassins du Nord ayant repris le travail, la reprise était
décidée aussi dans le Pas-de-Calais. Le 1 er avril, la plupart des
mineurs défilèrent dans les rues, avec le drapeau syndical et des musiciens qui
jouèrent L’ Internationale.
    Je fus soulagée que tout fût rentré dans l’ordre. Cette
grève n’avait pas été inutile, néanmoins. Outre l’augmentation des salaires, venait
d’être établi le principe de l’allocation familiale, avec un franc par enfant
de moins de treize ans. Ce n’était pas grand-chose, mais les mères de familles
nombreuses eurent la satisfaction d’avoir un peu plus d’argent pour élever
leurs enfants.
    J’étais maintenant enceinte de huit mois. Ma mère venait m’aider,
pour les gros travaux, car je m’essoufflais vite et avais perdu ma Souplesse. Je
vivais dans l’attente de mon enfant, et la nuit, seule dans le grand lit, bien
souvent j’étais réveillée par les vigoureux coups de pied qu’il me lançait. Germaine,
la sage-femme du village, m’avait dit :
    — Il semble vigoureux. Tu auras un beau bébé, Madeleine.
    J’avais été heureuse de ses paroles. Mon enfant devenait ma
principale préoccupation, tout ce qui m’entourait perdait peu à peu de son
importance. Je n’existais plus qu’en fonction de lui.
    *
    Il naquit le 1 er mai 1920. Très tôt le matin, je
fus réveillée par une douleur dans les reins, pas très violente, comme une
simple colique. J’attendis un instant, et lorsqu’elle se renouvela à plusieurs
reprises, je compris que le moment était venu. Je me levai, appelai Charles :
    — Charles, va chercher Germaine et maman. Je
crois que le bébé arrive.
    Il bondit de son lit, affolé :
    — Madeleine ! C’est vrai ? Tu crois que…
    — Oui, Charles. Habille-toi, et va, s’il te plaît.
    Il partit, et sa précipitation me fit sourire. Je m’appliquai
à marcher de long en large comme me l’avait prescrit Germaine, en attendant qu’elle
arrivât. Les douleurs devenaient de plus en plus fortes, mais elles étaient
supportables. Je ressentais, en même temps qu’une sorte de crainte devant l’événement
inconnu qui se préparait, une merveilleuse exaltation.
    Dès son arrivée, Germaine prit la direction des opérations. Elle
me fit marcher, encore, et lorsque la douleur augmenta, elle me fit coucher. Je
n’eus bientôt plus conscience du temps qui s’écoulait. Je ne vivais qu’au
rythme des contractions, de plus en plus rapprochées. À chaque fois, la
souffrance atteignait un palier supérieur, ma labourait le ventre, et je me
mordais les lèvres pour ne pas crier.
    Ce fut long. Il était trois heures de l’après-midi lorsqu’enfin
je l’entendis pousser son premier cri. Une sensation merveilleuse, ineffable, gonfla
son cœur.
    — C’est un garçon, dit Germaine, un beau gros
garçon !
    Quand ma mère me l’apporta, tout emmailloté, je le pris
contre moi et regardai son petit visage avec un amour infini.
    — Maman, dis-je à ma mère – et ma voix
était rauque d’émotion contenue –, je voudrais l’appeler Jean…
    — Merci, Madeleine, me dit-elle tout bas. Tu ne
pouvais pas me faire plus plaisir…
    Elle se pencha vers moi, embrassa mon

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