Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
Vom Netzwerk:
front encore moite de
sueur.
    Lorsqu’elle se redressa, elle me dit :
    — Je vais chercher Charles, maintenant. Il veut
te voir. Peut-il entrer ?
    Sur ma réponse affirmative, elle arrangea mon oreiller, tira
sur les draps, me recoiffa.
    — Voilà, j’y vais.
    Elle sortit, et peu après il entra. Je le regardai, à la
fois heureuse et émue. Pourtant, un petit regret vint me mordiller le cœur. Pourquoi
n’était-ce pas son enfant à lui que je venais de mettre au monde, au lieu de
celui d’un autre ? L’accepterait-il de la même façon ?
    Il s’avança, avec précaution. Tout contre le lit, il s’agenouilla,
me prit la main.
    — Madeleine, dit-il tout bas, Madeleine… Tu vas
bien ?
    Je fis oui, de la tête. Il me regardait intensément. Puis il
regarda mon enfant qui dormait, au creux de mon bras, comme un petit ange. Et d’une
voix enrouée :
    — Ton enfant, Madeleine… Il sera le mien.
    Mes yeux se remplirent de larmes :
    — Merci, Charles, merci pour tout.
    — Je t’aime, Madeleine, dit-il avec ferveur. Dorénavant,
vous serez deux dans mon cœur.
    Heureuse, je fermai les yeux. Une agréable faiblesse m’engourdissait,
et il me sembla que les lèvres de Charles se posaient sur mon visage. Je voulus
rouvrir les yeux, mais je n’en eus pas la force. La main dans celle de Charles,
mon enfant au creux de mon bras, épuisée, je m’endormis.

7
    NOUS eûmes beaucoup de visites, mon enfant et moi. La
plupart des femmes du coron vinrent nous voir et admirer Jean. C’était un bébé
adorable, qui dormait la plupart du temps et ne se réveillait que lorsqu’il
avait faim. Je le nourrissais, et ces moments étaient une étroite communion
entre lui et moi.
    Ma mère venait tous les jours s’occuper de la maison, de moi,
de Charles. Elle ne se lassait pas de regarder mon fils. Comme moi, elle le
trouvait très beau. Il avait un léger duvet blond sur le crâne, et des yeux
très clairs, « les yeux de Charles », disaient Pierre et Jeanne. Ils
étaient heureux :
    — Merci, Madeleine, m’avaient-ils dit, de nous
donner un petit-fils.
    Je ne pouvais pas voir leur visage attendri sans éprouver un
sentiment de culpabilité et de remords. Ils croyaient vraiment que mon enfant
était le fils de Charles.
    Mai avait apporté avec lui le soleil, et j’allais m’asseoir
au bord du jardin, mon bébé dans les bras. Je restais là, retrouvant peu à peu
mes forces, dans un bien-être quasi animal, envahie par une douce torpeur. Dans
les champs, les alouettes chantaient de nouveau. Je les regardais monter dans
le ciel bleu, et je savourais mon paisible bonheur. Je contemplais mon fils qui
dormait contre moi et je m’émerveillais de sa présence. Se pouvait-il qu’un
instant d’égarement, de folie et de souffrance ait pu produire cet enfant si
beau, que j’aimais déjà plus que ma vie ?
    Charles me parla d’une nouvelle grève, mais cette fois-ci je
reléguai cette préoccupation au second plan. Beaucoup de mineurs n’étaient pas
d’accord, et des bandes de grévistes acharnés parcouraient les cités pour
empêcher la reprise du travail. Cela dura une dizaine de jours, puis le travail
reprit normalement. Rien n’avait été obtenu, les salaires restèrent ce qu’ils
étaient.
    — Je l’avais bien dit, expliqua Charles, cette
grève était trop proche de la précédente. C’était inutile.
    J’acquiesçai machinalement, uniquement occupée par mon
enfant. Très vite, je recouvrai mes forces. Jean devenait un bébé bien portant
et potelé. Sa naissance n’avait rien changé à notre situation, à Charles et à
moi.
    Il dormait toujours dans l’autre chambre, et moi je dormais
dans le grand lit, le berceau de Jean près de moi. Ainsi je pouvais le nourrir,
la nuit, sans que cela réveillât Charles.
    Dans la journée, je n’avais plus une minute à moi. Aux
vêtements de mineur de Charles, mouillés et incrustés de charbon, qu’il fallait
laver tous les jours, s’ajoutaient maintenant les langes de Jean. Je passais
beaucoup de temps en va-et-vient de la maison à la pompe, car, après avoir
préparé le bain de Charles, je devais recommencer pour celui de Jean. Et, en
baignant Jean, j’aimais le câliner, lui parler, lui dire des mots tendres, embrasser
son petit corps doux et satiné. Il y eut plus d’une fois un repas en retard, mais
Charles ne se plaignit jamais. Et moi, je ne me rendais pas compte que je le
délaissais. Mon enfant occupait toute ma vie, lui seul

Weitere Kostenlose Bücher