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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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tu ne tiens pas à te faire raplatir, quand même ! » Et il
m’a répondu, avec un haussement d’épaules désabusé : « Bah ! ça
m’est égal… » Si tu avais vu son expression quand il a dit ça ! C’était
celle d’un homme qui a perdu l’espoir.
    J’éprouvais une intense stupeur. J’étais loin de me douter
que Charles pût être malheureux. Il ne me confiait jamais rien. Que se
passait-il donc ?
    — Il fallait que je te le dise, Madeleine. Bien
sûr, ce n’est pas mon problème. Mais si cette situation a un rapport avec toi, et
si tu peux faire quelque chose pour que Charles redevienne ce qu’il était, je t’en
prie, fais-le.
    Avec l’impression d’avoir reçu un coup sur la tête, je
promis à Georges de faire ce que je pourrais. Puis après son départ, je
réfléchis. Je cherchai ce qui avait bien pu décourager Charles à ce point. Et
je me rendis compte que, depuis la naissance de Jean, je l’avais délaissé de
plus en plus. Je ne discutais même plus avec lui comme avant. Quand il me
parlait de son travail, de ses problèmes de mineur, j’acquiesçais machinalement.
Et il avait fini par ne plus rien me dire. Il rentrait de la mine pour aller au
jardin, et ne se plaignait jamais. Je n’avais même pas prêté attention, non
plus, à son silence. J’étais, avec mon enfant, dans un monde à nous, d’où
Charles avait été exclu dès le début. Et dire que je m’étais promis de le
rendre heureux ! Je pris l’engagement de réparer, s’il n’était pas trop
tard.
    Je préparai un repas soigné, faisant un plat qu’il aimait
particulièrement. Lorsqu’il revint, tout était prêt. Pendant qu’il allait se
laver les mains dans l’arrière-cuisine, je le regardai avec attention, ce que
je n’avais pas fait depuis des mois. Je vis – comment cela avait-il pu m’échapper ?
– qu’il traînait les pieds et marchait voûté comme un vieil homme accablé
qui n’a plus rien à attendre de la vie. Je remarquai son visage maigre, ses
traits tirés, son regard las.
    Je le servis, et sa joie lorsqu’il vit que j’avais préparé
un repas qu’il aimait me mit les larmes aux yeux. Non, il n’était pas trop tard.
Il fallait que je réagisse. Après le repas, je l’interrogeai :
    — Quoi de neuf, à la mine, depuis tout ce temps ?
    Il leva vers moi un regard surpris. Je pris l’air le plus
naturel possible, et il se mit à me raconter que l’après-midi même il y avait
eu la descente d’un cheval au fond.
    — Si tu l’avais vu, Madeleine, cette pauvre bête !
On lui a mis des courroies de cuir sous le ventre, on lui a lié les pattes, et
on l’a suspendu verticalement. Quand il est arrivé au fond, on l’a amené sur le
plat de l’accrochage. Mais là, ce sont des plaques de fer, et avec ses fers aux
pattes, il glissait, il tombait. Si tu avais vu son affolement, son
incompréhension ! On a été obligé de le tirer de force, jusqu’à l’endroit
où il n’y a plus de plaques de fer, et on l’a redressé. Il roulait des yeux
effrayés, il tremblait.
    — Et ensuite, que s’est-il passé ?
    — Nous l’avons emmené avec les autres chevaux. Il
lui faudra plusieurs jours pour s’habituer, mais il s’y fera, comme les autres.
J’ai toujours admiré leur résignation, et je ne peux pas m’empêcher de les
plaindre. C’est vrai, nous, au moins, on remonte. Mais eux, ils passent leur
vie au fond, dans le noir, dans la poussière. Ils sont aveugles, à la fin. Ils
ne voient plus. Il paraît que si on les remontait, après tout ce temps, ils
deviendraient fous. Ça me fait mal au cœur, tu sais ! J’aime bien mon
métier, mais ça, c’est la chose la plus difficile à admettre, pour moi.
    Pour la première fois depuis de longues semaines, nous avons
parlé, toute la soirée. Le lendemain matin, en préparant son briquet, je lui
dis :
    — Charles, cet après-midi, peux-tu rentrer
directement ?
    Il me regarda, étonné :
    — Pourquoi ?
    — Je préfère que tu n’ailles plus Chez Tiot Louis. Reviens tout de
suite. Ton bain sera prêt. Si tu veux boire une bière, je te la verserai, ici. Tu
veux bien, dis ?
    Ma voix s’était faite suppliante. Sans se faire prier
davantage, il acquiesça :
    — D’accord, Madeleine, si tu veux.
    Il ouvrit la porte. Pour la première fois depuis longtemps
aussi, je me haussai sur la pointe des pieds et l’embrassai sur la joue. Il
sursauta, surpris, puis il me sourit, et je vis la joie revenir dans

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