La Poussière Des Corons
était mon univers.
Juliette venait souvent le voir. Elle aussi s’extasiait
devant lui. Un jour, elle remarqua :
— Dire qu’il est mon neveu et qu’il restera un
étranger pour moi ! Madeleine, je voudrais être sa marraine. Dis, tu veux
bien ?
Sur le moment, je ne sus que répondre. Et puis j’acceptai. Après
tout, pourquoi pas ? Juliette était ma meilleure amie. À tout le monde, nous
expliquerions la chose ainsi. Lorsque j’en parlai à Charles, il ne fit pas d’objection.
— Tu fais ce que tu veux, Madeleine.
Il n’avait pas protesté non plus lorsque j’avais voulu l’appeler
Jean. Comme il le disait, il me laissait faire ce que je voulais.
Pour lui faire plaisir, je demandai à son frère Georges d’être
parrain. Georges accepta aussitôt, avec une joie touchante. Il avait quatorze
ans, et cela lui donnait une importance dont il était fier.
Nous baptisâmes mon fils un dimanche de juin. Je l’avais, pour
la circonstance, habillé de blanc, et son visage, sous le petit bonnet de
dentelle, était attendrissant de fragilité. À la sortie de l’église, Charles et
ses frères lancèrent, selon la coutume, des dragées que les enfants du coron
ramassèrent en criant et en se bousculant. Les cloches sonnaient à toute volée,
et, mon enfant dans les bras, je sentais mon cœur chanter d’allégresse, de
gratitude, de bonheur.
Tout au long de l’été, les jours coulèrent, heureux, agréables.
L’après-midi, je prenais mon fils, et j’allais avec lui chez ma mère. Jeanne
venait nous rejoindre, et nous étions, toutes les trois, béates d’admiration devant
lui. Il était notre petit prince.
Ensuite je repartais chez moi, pour préparer le bain de
Charles. Il y eut plus d’une fois où, là aussi, je fus en retard. Et Charles
prit l’habitude de ne plus rentrer directement, mais d’aller, à la sortie de la
mine, boire un ou deux verres de bière Chez Tiot Louis, le cabaret des mineurs. Je n’y vis pas d’inconvénient.
Tout ce que j’en retirais, c’était de pouvoir rester un peu plus longtemps avec
Jean.
Il y eut son premier sourire, qui me fit fondre le cœur. À partir
de ce jour, il sourit souvent, tendant ses petits bras potelés avec une
expression câline et irrésistible, qui me rappelait celle d’Henri. Lorsqu’il
souriait de cette façon-là, ma mère lui aurait donné tout ce qu’il voulait. Et
moi, j’avais les yeux tellement fixés sur mon enfant que j’oubliais de voir ce
qui se passait autour de moi.
Ce fut pourquoi je tombai des nues lorsque Georges vint me
parler de Charles. C’était un jour du mois de septembre, en fin d’après-midi. Charles,
après sa journée de travail, était parti aider son père à récolter les pommes
de terre de son jardin. J’étais restée chez moi, et je venais de baigner Jean
lorsque Georges entra. Je crus qu’il venait voir son filleul, comme il le
faisait souvent, et je ne m’étonnai pas. Mais, au bout d’un moment, je
remarquai son air gêné. Il se mordait les lèvres, et visiblement cherchait à
parler sans pouvoir s’y décider. Intriguée, je demandai :
— Georges, qu’y a-t-il ?
Alors il se lança, d’un seul coup :
— Eh bien, voilà, Madeleine. Il y a déjà un
moment que je veux te parler… Je sais bien que ça ne me regarde pas, mais je ne
peux plus continuer de le voir ainsi…
Il hésita, s’arrêta. Je le pressai :
— Que veux-tu dire ?
En voyant mon étonnement, il reprit :
— C’est au sujet de Charles. Tu n’as rien
remarqué ?
Les yeux ronds, me sentant complètement stupide, je dis :
— Mais… non. Pourquoi, qu’y a-t-il ?
— Eh bien, c’est assez difficile à dire, mais… Je
ne comprends pas, il devrait être heureux pourtant, avec toi et Jean, et il a l’air
malheureux…
— Il t’a dit quelque chose ?
— Non, non, il ne dit rien, justement. Mais il se
traîne. À la mine, il travaille sans enthousiasme. Lui qui ne buvait jamais, il
va tous les soirs Chez Tiot Louis… Ma
mère aussi l’a remarqué, Madeleine, on dirait que plus rien ne l’intéresse. Elle
n’ose pas t’en parler, alors j’ai décidé de te le dire. Tu ne m’en veux pas ?
— Mais… tu es sûr que tu ne te fais pas d’idées
fausses ?
— Non, je suis sûr de moi. Sais-tu qu’hier, en
attendant la cage pour remonter, perdu dans ses pensées, il s’est trop approché.
Je l’ai tiré en arrière, en lui disant, pour plaisanter : « Fais
attention,
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