La Prison d'Édimbourg
si elle en était la maîtresse, et elle parle à un homme comme moi comme si j’étais son domestique, et que je dusse me donner au diable pour elle ! mais c’est une amie du duc. – Et le daim que j’ai fait tuer ! je l’enverrai avec les bagages ; c’est la moindre politesse que je puisse faire à mistress Butler pour lui avoir amené cette mijaurée.
Tout en faisant ces réflexions, il prit le chemin du rivage pour donner ses ordres en conséquence.
Pendant ce temps, les deux sœurs avaient une entrevue aussi touchante qu’extraordinaire, et chacune donnait à l’autre, à sa manière, des preuves de la plus sincère affection. Jeanie était tellement interdite par la surprise et par une espèce de respect que lui inspirait le rang de sa sœur, qu’elle ne pouvait que l’embrasser en silence, sans être en état d’exprimer tous les sentimens qui l’agitaient. Effie, au contraire, riait et pleurait en même temps, serrait sa sœur dans ses bras, sautait dans la chambre en levant les mains au ciel, et se livrait sans contrainte et sans réserve à toute sa vivacité naturelle, et à une impétuosité que personne pourtant ne savait mieux réprimer et maîtriser.
Après qu’elles eurent passé à se donner des témoignages de tendresse mutuelle une heure, qui ne leur parut qu’une minute, lady Staunton aperçut par la fenêtre le capitaine qui revenait du rivage.
– Cet ennuyeux montagnard va encore nous tomber sur les bras ! s’écria lady Staunton ; mais patience, je vais le prier de nous rendre le service de se retirer.
– Non, non ! dit mistress Butler, il ne faut pas fâcher le capitaine.
– Fâcher ! et qui s’est jamais fâché de ce que je dis ou de ce que je fais, ma chère ? Au surplus, si cela vous est agréable, je supporterai sa présence pour l’amour de vous.
Elle reçut Knockdunder de l’air le plus gracieux, et l’invita même à rester à dîner. Pendant toute cette visite, l’air de respect et les attentions du capitaine pour une dame d’un rang distingué faisaient un contraste plaisant avec la familiarité qu’il affectait avec la femme du ministre.
– Je n’ai pu me faire écouter de mistress Butler, dit lady Staunton au capitaine pendant un moment d’absence de Jeanie, quand j’ai voulu lui parler de l’indemnité que je lui devrai pour venir ainsi mettre garnison chez elle.
– Sans doute, milady, il conviendrait mal à mistress Butler, qui est une femme qui sait vivre, de recevoir des indemnités d’une dame qui vient de la part du duc ou de la mienne, ce qui est la même chose. Mais à propos de garnison, je vous dirai qu’en 1745 je fus mis en garnison avec un détachement de vingt hommes dans la maison d’Inver-Gavy, qui malheureusement était près de là ; car…
– Je vous demande pardon, monsieur, mais je voudrais que vous pussiez m’indiquer un moyen d’indemniser mistress Butler de tout l’embarras que je vais lui occasioner.
– Indemniser ! n’y pensez pas, milady, n’y pensez pas ! Si bien donc que me méfiant des intentions de ceux qui habitaient cette maison d’Inver-Gavy, et ayant entendu…
– Sauriez-vous, monsieur, si l’un de ces jeunes gens, de ces jeunes Butler, je veux dire, aurait quelque goût pour l’état militaire ?
– Je ne saurais vous le dire, milady. Ayant donc entendu une cornemuse dans le bois voisin, j’ordonnai à ma troupe de se mettre sous les armes, et…
– C’est que, continua lady Staunton sans s’inquiéter si elle interrompait la narration du capitaine, rien ne serait plus facile à sir Georges que d’obtenir une commission pour l’un d’eux ; car nous avons toujours soutenu le gouvernement, et jamais nous n’avons importuné les ministres.
– Et me permettrez-vous de vous dire, milady, reprit Duncan, à qui ce discours fit ouvrir les deux oreilles, que j’ai un grand neveu, appelé Duncan Mac-Gilligan, aussi fort et aussi vigoureux lui seul que les deux petits Butler ensemble ? Et si sir Georges voulait en demander une en même temps pour lui, cela ne lui donnerait pas la peine de demander deux fois.
Lady Staunton ne répondit à cette insinuation qu’en jetant sur lui un regard de femme du monde qui ne lui donna aucun encouragement.
Jeanie rentrait alors. Elle ne pouvait revenir de son étonnement en voyant la différence qui existait entre la jeune fille au désespoir qu’elle avait trouvée sur un grabat dans une prison, où elle n’attendait plus
Weitere Kostenlose Bücher