La Prison d'Édimbourg
sœur, elle ne pouvait avoir lieu, et cette menace était bien suffisante pour la détourner de cette idée. D’ailleurs elle n’aurait su à qui s’adresser pour demander un tel service. Elle n’avait avec ses voisines que des relations et des rapports sans conséquence. Jeanie les connaissait peu ; et tout ce qu’elle savait d’elles ne lui inspirait guère le désir d’en faire ses confidentes. Elles étaient de ces commères bavardes qu’on trouve ordinairement dans cette classe de la société, et leur conversation était sans aucun attrait pour une jeune fille à qui la nature, aidée d’une vie solitaire, avait donné une profondeur de réflexion et une force de caractère qui la rendaient supérieure aux personnes frivoles de son sexe, quel que fût leur rang dans le monde.
Abandonnée à elle-même, et ne pouvant demander d’avis à personne sur la terre, elle eut recours à celui dont l’oreille est toujours ouverte aux humbles prières du pauvre et de l’affligé. Elle se mit à genoux, et pria Dieu avec ferveur de la guider et de la protéger. Après avoir rempli ce devoir religieux, elle se sentit plus de force et plus de courage, et, en attendant l’heure du rendez-vous, elle alla retrouver son père.
Le vieillard, ferme dans les principes de sa jeunesse, cachait ses chagrins intérieurs sous une apparence de calme et de tranquillité. Il gronda même sa fille d’avoir négligé dans le cours de la matinée quelques soins domestiques. – Eh ! quoi donc, Jeanie, qu’est-ce que cela signifie ? le lait de la Brune de quatre ans n’est pas encore passé, ni les seaux de lait placés sur la planche : si vous négligez vos devoirs terrestres au jour de l’affliction, quelle confiance puis-je avoir en vos soins pour la grande affaire du salut ? Dieu sait que nos seaux de lait, nos jattes de laitage et nos morceaux de pain, nous sont plus chers que le pain de la vie ?
Jeanie ne fut pas fâchée de voir que les pensées de son père ne fussent pas tellement concentrées dans son affliction, qu’il ne pût s’occuper d’autres idées. Elle s’acquitta des devoirs qui lui restaient à remplir, tandis que Deans, incapable de rester en place, courait d’un endroit à l’autre sous différens prétextes, mais véritablement pour se distraire ou du moins cacher son agitation ; seulement un soupir ou un mouvement convulsif de la paupière, indiquaient toute l’amertume de son cœur.
Le soir, l’heure du souper frugal arriva. Le pauvre vieillard se mit à table avec sa fille, appela la bénédiction du ciel sur la nourriture qui leur était préparée ; à sa prière il en ajouta une autre pour demander au ciel que le pain mangé dans l’amertume fût aussi nourrissant, et les eaux de Merah aussi salutaires que le pain tiré d’une corbeille abondamment garnie, et que l’eau versée d’une coupe pleine. Ayant conclu sa bénédiction et replacé sur sa tête la toque qu’il avait « mise respectueusement de côté » pour la prononcer, il voulut engager sa fille à manger, par le précepte, sinon par l’exemple. – L’homme d’après le cœur de Dieu, dit-il, ne laissa pas de se laver, de s’oindre et de manger, pour exprimer sa soumission, sous les coups de la main qui le frappait, et il ne convient pas à une femme chrétienne, ou à un homme chrétien, de tenir tellement aux terrestres consolations, telle qu’une femme ou des enfans… qu’il doive oublier le premier devoir… la soumission à la volonté divine. Ces derniers mots sortirent avec peine de ses lèvres.
Pour donner plus de force à ce précepte, il prit un morceau sur son assiette ; mais la nature ne lui permit pas l’effort qu’il voulait faire sur lui-même, et, honteux de sa faiblesse, il se leva précipitamment de table pour la cacher. En moins de cinq minutes, il revint ; étant heureusement parvenu à recouvrer le calme habituel de son âme et de ses traits, il essaya de donner un prétexte à son absence momentanée, en disant qu’il croyait avoir entendu le poulain qui s’était détaché dans l’étable.
Il ne se fia pas cependant assez à ses forces pour reprendre la conversation interrompue, et sa fille fut charmée de voir qu’il évitait même toute allusion à ce sujet pénible. Les heures s’écoulent… elles s’écoulent et doivent s’écouler, qu’elles fuient sur les ailes de la joie, ou sous le poids de l’affliction. Le soleil s’éclipsa derrière la sombre
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