La Prison d'Édimbourg
que lorsqu’elle vit arriver le moment de l’exécuter, elle eut toutes les peines du monde à s’y résoudre. Sa main tremblait en attachant le ruban qui retenait ses cheveux blonds, seul ornement de tête que se permettent les Écossaises avant leur mariage, et en plaçant sur ses épaules le plaid de tartan rouge, vêtement assez semblable au grand voile noir dont les femmes se couvrent encore aujourd’hui dans les Pays-Bas {58} ; quand elle quitta le toit paternel pour aller à un rendez-vous si extraordinaire, à une heure si avancée de la nuit, dans un lieu si désert, à l’insu de son père, sans aucune protection, il lui sembla qu’elle courait volontairement à sa perte. Mais le sort de sa sœur était, disait-on, attaché à cette démarche, et cette idée eut le pouvoir de la soutenir et de lui donner la force d’accomplir son projet.
Lorsqu’elle se trouva en plein champ, de nouveaux sujets de crainte se présentèrent à elle. Les pâles rayons de la lune, en lui montrant les montagnes et les vallées couvertes de débris de rochers, qu’elle avait à traverser pour arriver au lieu du rendez-vous, lui rappelèrent une foule d’histoires sinistres qu’elle avait entendu raconter. Cet endroit était jadis le repaire de voleurs et d’assassins, dont la tradition conservait le souvenir. On nommait encore les plus fameux de ces brigands, dont plusieurs avaient subi le châtiment dû à leurs crimes ; et maintenant ce lieu retiré servait, comme nous l’avons dit, de théâtres à de fréquens duels ; plusieurs personnes y avaient perdu la vie dans ces sortes de combats, depuis que Deans était établi à Saint-Léonard. Des idées de sang et d’horreur occupaient donc l’esprit de Jeanie à mesure qu’elle approchait de cet endroit formidable, en perdant l’espérance de pouvoir obtenir le moindre secours, s’il arrivait qu’elle en eût besoin. D’autres motifs de terreur effrayaient encore son imagination, lorsque la lune commença à répandre sur ces lieux une lumière douteuse et solennelle ; mais comme ils étaient la suite des préjugés de son siècle, et de sa condition, il est nécessaire d’en retracer brièvement l’origine : c’est ce que nous ferons dans le chapitre suivant.
CHAPITRE XV.
« Cet esprit que j’ai vu, c’est le démon peut-être :
Sous des traits séduisans ne peut-il pas paraître ?
SHAKSPEARE. Hamlet.
La croyance aux sorciers et à la démonologie, comme nous avons déjà eu occasion de le remarquer, était alors presque générale en Écosse, mais surtout dans la classe des plus sévères presbytériens ; aussi dans le temps qu’ils avaient été investis de l’autorité publique leur gouvernement s’était souillé par une infinité d’actes de rigueur contre ces crimes imaginaires. Les rochers de Saint-Léonard et le pays adjacent étaient, sous ce point de vue, des lieux de mauvaise renommée. C’était là non seulement que s’étaient tenus les sabbats de sorcières, mais encore récemment l’Enthousiaste ou Imposteur cité dans le Monde des Esprits de Baxter avait pénétré à travers les fentes de ces rochers pittoresques jusqu’aux retraites cachées où les fées célèbrent leurs banquets dans les entrailles de la terre.
Jeanie Deans était trop familiarisée avec ces légendes pour s’être affranchie de l’impression qu’elles font ordinairement sur l’imagination. En effet ces contes d’apparitions avaient nourri son esprit depuis son enfance, car ils étaient la seule distraction que la conversation de son père lui offrît après les discussions de controverse, ou la sombre histoire des luttes, des témoignages, des évasions, des captures, des tortures et des supplices de ces martyrs du Covenant, avec lesquels il se vantait si volontiers d’avoir vécu. Dans les retraites des montagnes, dans les cavernes et les marécages où ces enthousiastes persécutés étaient poursuivis si impitoyablement, ils s’imaginaient avoir souvent à combattre contre les assauts visibles de l’ennemi du genre humain, comme dans les villes et les champs cultivés ils étaient exposés au gouvernement tyrannique des soldats. Telles étaient les terreurs qui faisaient dire à un de leurs saints prophètes, quand ses compagnons revinrent auprès de lui, après l’avoir laissé seul dans une caserne hantée par les esprits, à Sorn et dans le Galloway : – Il est dur de vivre dans ce monde avec des démons incarnés sur
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