La Prophétie des papes
jeune acteur et écrivain de Stratford-upon-Avon avait fait irruption sur la scène londonienne avec une pièce intitulée Henri VI , dont la première avait eu lieu un an auparavant, entraînant un énorme succès financier. William Shakespeare vivait aussi à Shoreditch. Ils se voyaient fréquemment au Rose Theatre et dans les tavernes du quartier où ils se jaugeaient avec méfiance comme deux cerfs prêts à se charger mutuellement, à croiser les bois.
Le seul véritable plaisir dans la vie de Marlowe était Thomas Kyd, son grand amour, quâil avait persuadé de venir partager sa chambre à Norton Folgate.
Il commanda dâune voix forte une autre chope de bière, exigeant quâelle provienne dâun autre tonneau, et alla se vider la vessie dans le fossé derrière la taverne.
Là , dans lâombre, comme à son accoutumée, se trouvait Robert Poley.
« Poley ! cria Marlowe en direction de sa silhouette noire. Câest vous ? Vous ne vous montrez donc jamais à la lumière ? Vous êtes comme lâombre dâHadès, toujours tapi, en train de rôder.
â Je me montrerai volontiers si vous me payez un verre, dit Poley.
â Bien. Venez et soyez mon ténébreux compagnon. »
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Poley revenait directement des appartements privés de Robert Cecil qui avaient été ceux de Walsingham, mais Cecil les avait fait décorer de plus beaux tableaux et de plus belles tapisseries, dâargenterie plus fine. Il avait également travaillé son apparence adoptant un pas lent, majestueux, se commandant les vêtements les plus élégants et se montrant obsessionnellement soucieux de sa barbe pointue et de ses épais cheveux peignés en arrière.
« Quelles nouvelles me rapportez-vous, Poley ? avait demandé Cecil.
â Jâai obéi à vos ordres et jâai consciencieusement observé Marlowe.
â Et comment se comporte notre talentueux ami ?
â Ses indiscrétions sâaggravent.
â Comment cela ?
â Il partage son lit avec Thomas Kyd, désormais. Ouvertement.
â Ah, oui ?
â Des rumeurs circulent sur Thomas Kyd, qui mâont été transmises par nos gens à Rome.
â Quelles rumeurs ?
â On dit quâil est un employé de lâÃglise. Le pape a demandé à ses hommes de trouver les lémures et de nous éradiquer.
â Et tu dis que Kyd est leur espion ?
â Oui. »
Cecil avait soupiré.
« Marlowe aurait pu aisément trouver du plaisir parmi les siens.
â Il est porté à lâautodestruction, avait dit Poley.
â Alors nous devons lâaider, avait dit Cecil. Mais nous devons agir avec précaution. La reine aime ses pièces. Mais jâentends que ce nouvel homme, Shakespeare, même sâil nâest pas des nôtres, est un meilleur dramaturge. La reine sera bientôt distraite par un autre barde. »
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Marlowe versa une liqueur forte contenue dans une flasque dans la tasse de Poley. Ils étaient installés à une petite table privée.
« Quâest-ce qui vous occupe ces derniers temps, Poley ?
â Il y a des projets en cours, dit lâautre homme sur un ton énigmatique. Des vents nauséabonds soufflent des Flandres. Cecil voudrait nous envoyer là -bas dâici peu.
â Paiera-t-il bien ? grogna Marlowe.
â Il dit quâil paiera grassement. La situation est grave et, si elle est gérée à la perfection, Cecil pense que cela renforcera sa position auprès de la reine. De plus, cette aventure pourrait nous rendre tous riches.
â Dites-mâen plus, demanda Marlowe, soudain très intéressé.
â Dans une quinzaine de jours environ, le plan sera prêt pour que nous en parlions. Lorsque Cecil nous lâordonnera, nous nous retrouverons chez la veuve Bull à Deptford.
â Vous me tiendrez au courant, dit Marlowe. Jâai mené pas mal dâaffaires là -bas et il y a un avantage considérable, Mrs Bull est une excellente cuisinière. »
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Marlowe sut que des ennuis se préparaient lorsquâune semaine plus tard une lettre haineuse fut affichée sur le mur dâune église de Londres fréquentée par des protestants hollandais. Câétait une diatribe en vers blancs qui cherchait à déchaîner la
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