La Prophétie des papes
meurt avec moi, chuchota-t-il.
â Je ne peux pas », dit Ãpaphrodite, la main tremblante.
Sporus errait derrière lui. Le garçon, qui avait été humilié, castré puis sodomisé pendant des années, saisit le manche de la dague.
« Moi, je peux », dit-il en enfonçant la lame dans un côté du cou de Néron, jusquâà ce quâelle ressorte de lâautre côté.
Et, tandis quâÃpaphrodite sâagenouillait, lâair hébété, à côté du corps de son maître, Sporus se tourna et quitta la pièce seul, jouant avec le médaillon quâil avait dans la poche et qui lui avait été donné par lâhomme dans le jardin dâaromates.
Câétait un symbole chi-rhô , un beau, en or.
« Je suis maintenant chrétien, dit Sporus à haute voix. Et jâai débarrassé Rome de ce monstre. »
27
L ONDRES, 1593
Cette journée de mai était anormalement chaude et au Mermaid lâatmosphère était étouffante. La taverne était remplie dâodeurs nauséabondes, de bière, rance et fraîche, dâurine, ancienne et nouvelle, et dâun affreux mélange de sueurs.
Marlowe était épuisé et très en colère parce quâil ne se saoulait pas aussi vite quâil aurait souhaité. Assis à une longue table, très peuplée, il sâemporta contre le tavernier, lâaccusant dâavoir coupé la bière avec de lâeau, mais lâhomme à la forte carrure lâignora et le laissa râler.
« Je vais dépenser mon argent ailleurs, brailla-t-il à la cantonade. La bière est meilleure aux Pays-Bas. »
Il connaissait bien la bière hollandaise.
Il avait passé lâessentiel de lâannée dans la puante ville portuaire de Flushing à jouer les agents doubles ou triples, activité dans laquelle il excellait maintenant. Walsingham était mort, presque trois ans auparavant, et Marlowe avait un nouveau maître, Robert Cecil, qui avait continué à profiter de son père, lord Burghley, pour ses relations avec la reine. Cecil avait réussi à se faufiler dans le fauteuil de Walsingham en tant que secrétaire dâÃtat et maître espion. Robert Poley, le loyal lèche-bottes de Cecil qui faisait si volontiers des séjours dans des prisons froides et humides pour entretenir sa couverture de sympathisant catholique, se vit confier la responsabilité de tous les agents de Sa Majesté aux Pays-Bas.
Marlowe trouvait souvent ses missions clandestines insignifiantes, mais elles payaient bien â mieux que le théâtre â et lui laissaient le temps dâécrire des pièces et de poursuivre dans le domaine quâil admirait : le chaos, la confusion et les calamités. Burghley était infirme et il ne serait plus longtemps de ce monde. Le vieux John Dee perdait la tête et la reine lâavait mis au vert comme directeur du Christâs College à Manchester. Robert Cecil était prêt à devenir le lémure le plus puissant dâAngleterre et Marlowe était son homme. Dans son sillage, Marlowe atteindrait de nouveaux sommets de gloire, de richesse et de pouvoir. Il se trouvait globalement méritant ; il avait fait sa part.
Il avait vécu dans une chambre nauséabonde de la ville portuaire de Flushing, bu de la bière dans les auberges et les tavernes, glané des informations en se faisant passer pour un sympathisant des catholiques, fabriqué de la fausse monnaie avec un groupe de conspirateurs et trouvé le temps dâécrire quelques heures par nuit presque quotidiennement.
Et à la suite de son triomphe avec Faust , chacune de ses nouvelles pièces avait été bien reçue. Le Juif de Malte avait suivi, puis le drame historique Ãdouard II , puis Héro et Léandre et, enfin, Le Massacre de Paris , que les Pembrokeâs Men avaient joué quelques mois auparavant.
Jamais satisfait et toujours en lutte, Marlowe trouvait bien des raisons dâêtre irrité. Il vivait comme un pauvre comparé à quelquâun comme Cecil. Ils étaient de la même facture, ils avaient la même éducation, la même intelligence, mais Cecil avait un Burghley pour père et le père de Marlowe était cordonnier. Et dans le domaine de la littérature, il avait désormais un redoutable rival. Un
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