La Prophétie des papes
que Lewgar était votre ami.
â Il lâest, dit Marlowe. Peut-être mon ami le plus proche à lâuniversité.
â Et pourtant, vous lâavez fait parler sur un sujet sur lequel il nâétait pas prêt à discourir.
â On dirait que oui. »
Cecil se pencha vers lui.
« Je suis impressionné par vos effets de manche, maître Marlowe. Nous connaissons les Marlowe, vous savez. »
Marlowe releva. Nous ?
« Vraiment ? dit-il.
â Je me demandais si vous seriez prêt à mâaccompagner à Londres demain. Je voudrais vraiment que vous y rencontriez quelquâun. »
Puis il approcha ses lèvres de lâoreille de Marlowe et chuchota :
« Je sais ce que vous êtes. »
Â
Câétait lâhomme le plus effrayant que Marlowe ait jamais vu. Il avait des yeux impitoyables profondément enfoncés dans leurs orbites, qui semblaient capables de percer les esprits et lire les âmes. Son visage avait des traits fins et aquilins. La manière quâil avait de figer ses muscles faciaux dans une parfaite immobilité le faisait ressembler à une statue quâon aurait taillée dans un bloc de marbre froid et sombre. Son pourpoint et sa cape étaient taillés dans les meilleures étoffes, comme il sied à un ministre de la reine.
Marlowe était dans la salle de réception du grand homme à Barn Elms, dans le Surrey, juste après son arrivée en bateau depuis Londres avec Robert Cecil. La demeure, bâtie en calcaire pris aux églises catholiques rasées par le père dâÃlisabeth, le roi Henri, était la maison la plus splendide que Marlowe ait jamais vue. Depuis la rivière, dans les dernières lueurs du crépuscule, elle paraissait dâune longueur interminable. à lâintérieur, les boiseries, le lambrissage, les tapisseries et tentures héraldiques le laissèrent bouche bée, et lui donnèrent le désir de connaître le même genre de vie.
« Sir Francis, dit Cecil. Je vous présente maître Christopher Marlowe. »
Francis Walsingham. Secrétaire dâÃtat de la reine. Son maître espion et bourreau. Lâhomme quâelle appelait son Maure à cause de son teint basané et de son attitude sinistre. Lâhomme le plus dangereux dâAngleterre.
« Bienvenue dans ma demeure, messieurs. Il fait bon sâéchapper de Whitehall parfois pour venir se régénérer à la campagne. Avez-vous vu le baron Burghley, Robert ?
â Non, pas encore. Je chercherai père lorsque nous retournerons à Londres.
â Excellent. Assurez-vous quâil vous obtienne une audience avec la reine. Vous devez être attentif à votre carrière. Jâai du bon vin à vous offrir, un exceptionnel alicante espagnol. Il est fabriqué par des papistes qui méprisent notre reine Ãlisabeth, mais on ne peut pas nier ses qualités. »
Marlowe sirota le vin rafraîchi, admirant son bouquet et se demandant pourquoi il était assis dans ce beau fauteuil moelleux sur lequel était brodée une rose Tudor rouge et blanche. Mais, après quelques échanges insignifiants sur Benet College, Maître Norgate et les examens, Walsingham en vint au fait.
« Le jeune Robert effectue des missions pour moi, maître Marlowe. Il contribue à lâélimination des éléments papistes dans les rangs de Benet et dâautres universités. Il recherche également des hommes de talent qui peuvent aussi servir la Couronne et il mâa parlé plusieurs fois de vous dans ses rapports des dernières années. »
Marlowe était étonné. Il sâétait à peine rendu compte que Cecil avait remarqué son existence.
« Je suis honoré, monseigneur, dit-il.
â Nous vivons une époque troublée, maître Marlowe. Depuis 1547, notre religion dâÃtat a changé trois fois, du catholicisme anglais dâHenri au protestantisme radical dâEdward, au catholicisme radical de Marie et, maintenant, au protestantisme dâÃlisabeth. Dans la populace les graines de la confusion ont produit beaucoup dâarbres étranges. Lequel est votre arbre ?
â Notre famille a toujours suivi lâexemple de la reine.
â Vraiment ? Vous êtes sérieux ? »
Lâexcitation de Marlowe se transforma en
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