La Prophétie des papes
inquiétude. Ãtait-il tombé dans un piège ? « Nous avons toujours été des sujets loyaux. »
Walsingham posa son verre dâun mouvement brusque sur la table. Sa collerette élaborée lâobligeait à se tenir droit comme un piquet.
« Je tiens pour certain, dit-il, que vous nâêtes pas de véritables protestants, même si vous trouvez que câest pratique de vous allier avec eux de temps en temps. Je sais que vous nâêtes pas papistes ; vous avez pour eux le plus grand mépris. Je pense que vous êtes autre chose. »
Marlowe avait les yeux rivés sur lui, nâosant pas parler.
« On me dit que vous excellez dans lâétude de lâastronomie. Vous comprenez bien les étoiles, nâest-ce pas ?
â Jâai dâassez bonnes connaissances.
â Cecil est aussi un astrologue compétent. Comme moi. Aucun de nous, bien entendu, nâarrive à la cheville de lâastrologue de la reine, John Dee, mais nous connaissons quelques petites choses. Les étoiles ne peuvent être ignorées.
â Câest incontestablement vrai, acquiesça Cecil.
â Alors, je présume, Marlowe, que votre allégeance aux leçons des cieux est bien supérieure aux leçons des Ãcritures. »
Marlowe eut une furieuse envie de sâenfuir.
« Ãcoutez-moi bien, Marlowe, poursuivit Walsingham. Peut-être y a-t-il des hommes qui tirent bénéfice des conflits religieux. Peut-être y a-t-il des hommes qui fomentent le conflit. Peut-être y a-t-il des hommes qui sont plutôt indifférents lorsque des protestants sont assassinés à Paris, mais qui ronronnent comme des chats quâon caresse lorsque des catholiques sont massacrés à York et Londres. Peut-être y a-t-il des hommes qui sont des ennemis anciens et déterminés de lâÃglise de Rome et qui vivent dans lâespoir perpétuel de sa destruction. Peut-être appartenez-vous à cette catégorie. »
Walsingham se leva, ce qui poussa Cecil à lâimiter promptement. Marlowe se redressa plus lentement. Il suait à grosses gouttes. Puis Walsingham le surprit en posant une main sur son épaule dâun geste rassurant.
« Peut-être, poursuivit-il, Cecil et moi sommes-nous également de cet avis.
â Je reste sans voix, monseigneur, bafouilla Marlowe.
â Je veux que vous travailliez pour moi, Marlowe, même en poursuivant vos études à Cambridge en vue de lâobtention de votre prochain diplôme. Je veux que tout ce que vous fassiez contribue à soutenir notre cause et notre progrès. La reine nâest pas des nôtres, mais elle croit fermement que Cecil et moi, nous lui appartenons. Et dans la mesure où sa haine des papistes est aussi aiguë que la nôtre, nous sommes véritablement du même bord. Je veux que vous deveniez un de mes espions, que vous suscitiez des troubles à lâétranger pour le compte de la reine, mais surtout, pour notre compte. Nous attendons beaucoup de vous. »
Marlowe se sentit étourdi de bonheur.
« Je ne sais pas quoi dire.
â Ne dites rien, rétorqua Walsingham. Suivez-moi. Les actes parlent plus que les paroles. »
Marlowe emboîta le pas à Cecil et Walsingham. Ils suivirent un long couloir jusquâà une vieille porte massive que Walsingham ouvrit. Un escalier de pierre menait à une cave.
Des torches illuminaient les murs humides. Ils marchèrent en silence et parvinrent à une autre porte sur laquelle Walsingham sâappuya de tout son poids avec son épaule droite. Elle craqua sur ses gonds et sâouvrit lentement pour révéler une grande pièce, à peu près de la taille du grand salon, à lâétage au-dessus. Une douzaine de personnes, sept hommes et cinq femmes, entre vingt et quarante ans, buvaient du vin et se prélassaient sur des canapés moelleux dans la lumière douce des bougies. Ils sâinterrompirent tous et se levèrent.
« Mesdames et messieurs, dit Walsingham. Je vous présente maître Christopher Marlowe, le jeune homme dont je vous ai parlé. Jâaimerais que vous lui réserviez le meilleur accueil et que vous lui témoigniez notre hospitalité. »
Comme sâils répondaient à un signal, ils se mirent tous à se comporter dâune manière qui
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