La Prophétie des papes
couleurs. Tandis que le jour baissait et que la brise se levait, la foule des joyeux convives afflua plus nombreuse et se bouscula sur la rive du lac. Ce serait une longue nuit exotique, une nuit dont on parlerait pendant des décennies, une nuit de spectacle et de danger.
Lâinstigateur était Tigellinus. Caius Ofonius Tigellinus était riche, haut en couleur et démesurément puissant. Officiellement, il était à la tête des vigiles, mais dans la pratique, il était le combinard et proxénète en chef de lâempereur ; ce soir, il avait organisé la fête du siècle. Ils étaient entourés de bois, au Champ de Mars, la splendide villa bâtie des dizaines dâannées auparavant par Agrippa, le gendre dâAuguste. La pièce maîtresse de la propriété était le grand lac artificiel, le Stagnum Agrippae , alimenté par un aqueduc complexe, lâ Aqua Virgo , et vidangé par un long canal qui se jetait dans le Tibre.
Sur toute la longueur de la rive, autour du lac de deux cents mètres, les invités goûtaient à des plaisirs débridés. Il y avait des tavernes, des bordels et des salles à manger qui avaient été bâtis juste pour lâoccasion. Des oiseaux exotiques et des bêtes sauvages apportés des plus lointaines contrées de lâEmpire sâégaillaient, certains errant librement, dâautres, comme les tigres et les guépards, retenus par des chaînes assez longues pour quâils puissent attraper les ivrognes avec leurs dents et leurs griffes. Lorsque cela arrivait, un rugissement ravi montait de la foule qui grossissait de quelques centaines de spectateurs, avides de voir le malheureux ou la malheureuse se faire déchiqueter.
La pénombre grandissante et le vin qui coulait à flots provoquèrent un regain de lubricité. Un bordel était peuplé de femmes nobles seulement. Dans un autre, des prostituées professionnelles sâébattaient en public, nues, jusque sur la pelouse. Des femmes aux mÅurs légères de toutes origines étaient disponibles, nobles ou esclaves, matrones ou vierges, et toutes étaient contraintes de satisfaire la moindre demande. Des esclaves baisaient leur maîtresse devant le mari, des gladiateurs prenaient des filles sous les yeux de leur père. Tout était permis, rien nâétait interdit. Lorsque la nuit tomba, les bosquets et édifices environnants sâéclairèrent et retentirent de cris et de gémissements. On se poussait, on se bousculait, on se bagarrait et on se poignardait. Et la nuit ne faisait que commencer.
Dans le pavillon principal, quelques douzaines dâinvités importants étaient allongés sur des bancs et des sofas. Il y avait des sénateurs, des courtisans, des diplomates, les plus riches marchands. Tigellinus était assis devant, le lac clapotait à moins dâun mètre de ses sandales. Pour la nuit, il avait troqué son lourd uniforme de préfet des vigiles contre une toge, mais il avait été tenté dâaller encore plus loin, imitant certains des invités de haute naissance, et de ne porter quâune tunique avec une ceinture. Tigellinus était grand et sévère, avec des sourcils épais qui lui donnaient lâair dâêtre une brute épaisse. Sur sa gauche, taciturne comme toujours, était assis Balbilus, lâastrologue basané. Il était dans la septième décennie de sa vie, mais il avait toujours lâair vigoureux et en bonne santé, impérieux et inaccessible. à sa gauche se trouvait un autre lèche-bottes grisonnant de lâempereur, lâaffranchi Anicetus. Il avait été choisi par la mère de lâempereur, Agrippine, pour être lâun des tuteurs de son fils Néron avant sa majorité et, ensuite, il avait mis en Åuvre le funeste plan de lâempereur et lâavait noyée en coulant son bateau royal. Pour finir, Néron avait dû envoyer des assassins professionnels pour achever le travail. Lorsquâelle sâétait trouvée face aux hommes armés dâépées dans ses appartements, Agrippine leur avait crié de lui arracher sa matrice qui avait mis au monde un fils si détestable, même selon ses propres critères pourtant ignobles.
Derrière Néron, désÅuvrée et ivre, se trouvait Poppée, son épouse, parée de bijoux, alanguie,
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