La Prophétie des papes
tendant son gobelet pour que lâune de ses servantes le remplisse. Même avec ses yeux injectés de sang et une éruption cutanée marbrée que son médecin grec nâavait pas pu soigner, elle avait encore les traits ravissants qui lui avaient valu les faveurs de lâempereur.
Tigellinus se pencha et demanda à Balbilus.
« Pourquoi êtes-vous si sombre ?
â Vous le savez. Pour la seconde fois, nous sommes parvenus à nos fins : lâun de nous est devenu empereur. Et voilà ce quâil nous offre. Ãcoutez les sénateurs gronder ! Je crains une révolte, peut-être de la violence à son adresse. Et à notre encontre. Ils ont tué Caligula. Cela peut se reproduire. Nous pourrions bien ne pas avoir de troisième chance. »
Tigellinus grogna.
« Une comète est passée il y a deux semaines, quand Néron était à Bénévent, nâest-ce pas ?
â Oui. Un signe clair annonçant un danger.
â Et vous lui avez conseillé dâéradiquer la menace en purgeant lâaristocratie de certains éléments.
â Et vous, mon bon préfet, vous avez fait, pour vos massacres, dâexcellents choix.
â Câest précisément la raison pour laquelle vous ne devriez pas vous inquiéter. » Tigellinus baissa la voix. « Il comblera tous nos désirs. Il connaît son destin. Oui, peut-être est-il devenu un peu fou â ce genre de pouvoir produit cet effet-là â, mais il nâest pas si fou quâil ait perdu le cap. Laissons-le se divertir et se faire plaisir à sa façon. » Il finit avec un clin dâÅil. « Telle est sa mission. Telle est sa nature. »
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Lâapôtre Pierre était gêné par ses genoux et une souffrance permanente causée par des douleurs fulgurantes qui se propageaient le long dâune jambe. Le voyage qui lâattendait allait être ardu, il lâaurait été même pour un homme plus jeune, mais il sâétait levé tôt, sâétait lavé dans un abreuvoir derrière la petite maison de pierre à Golgotha et avait contemplé le soleil levant qui illuminait les collines.
La maison avait appartenu à un frère de Philippe, un des douze apôtres de Jésus, et, à sa mort, elle était devenue la propriété de sa femme Rachel. Elle avait été la seconde à se réveiller ce matin-là et, lorsquâelle vit que Pierre nâétait plus dans son lit, elle était partie à sa recherche.
« Dois-tu aller à Rome ? » demanda-t-elle.
Il était assis sur la terre pierreuse dâune couleur orangée.
« Je le dois.
â Tu nous es précieux, dit-elle. Nous ne voulons pas te perdre. Matthieu est parti, ainsi quâÃtienne, Jacques, Matthias, André et Marc, tous des martyrs comme lui. »
Un rayon du soleil levant éblouit Pierre et il plissa les yeux.
« Lorsque jâétais un jeune homme, Jésus a dit quelque chose qui mâa accompagné au cours de ma longue vie. Il a dit : âLorsque tu seras vieux, tu tendras les mains et quelquâun dâautre te vêtira et tâemmènera là où tu ne veux pas aller.â Je ne veux pas te quitter et quitter mes frères et sÅurs bien-aimés, Rachel, mais je crains que ce soit ma destinée. »
Elle nâessaya pas de le contredire.
« Eh bien, viens, faisons au moins en sorte que tu montes sur cette mule après avoir pris une nourriture chaude. »
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Une brise fraîche se mit à tournoyer dans la cour centrale et les jardins de la villa de Néron au Champ de Mars. Hors de vue, la gigantesque fête battait son plein. Néron était installé sur un banc en marbre recouvert de coussins et jetait dâun geste distrait aux lamproies de son bassin des morceaux de nourriture quâil piochait dans un bol en cristal, tandis que Balbilus et Tigellinus marchaient en parlant.
« Puis-je entrer ? demanda Anicetus, qui se trouvait derrière deux colonnes du péristyle.
â Fais vite », rétorqua Néron.
Anicetus tenait les deux épaules des toges de deux jeunes filles. « Vous plaisent-elles, Votre Excellence ? »
Néron examina les deux filles rougissantes qui sanglotaient.
« Qui sont-elles ?
â Les filles jumelles du
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