La Prophétie des papes
Walsingham. Poley, donnez-lui la lettre que nous avons préparée. »
Marlowe la lut, hautement reconnaissant. Elle était parfaite. Courte et autoritaire, ne laissant aucun doute sur le fait que Marlowe était parti à lâétranger au service de Sa Majesté. « Ce sera parfait. »
Walsingham reprit le document et se mit à chauffer de la cire pour y apposer le sceau du Conseil privé. Pendant quâil sâaffairait avec la bougie, il dit :
« Je voudrais vous demander quelque chose, Marlowe. Je suis très curieux de savoir pourquoi vous cherchez à vous consacrer à cette frivolité, lâécriture de pièces de théâtre. Jâai entendu dire que les Admiralâs Men allaient bientôt jouer lâune de vos Åuvres. Comment cette activité contribue-t-elle à lâavancement de notre cause ? Je peux assigner à un esprit brillant comme le vôtre une centaine de tâches qui bénéficieront aux lémures. Comment cela peut-il être une plus grande priorité ? »
Marlowe se versa un verre de vin et le goûta. Il était excellent, bien meilleur que sa piquette habituelle.
« Avez-vous jamais été au théâtre, monseigneur ? »
Walsingham hocha la tête avec dédain.
« Je le fais seulement parce que la reine apprécie ce genre de divertissement et, souvent, elle exige que son Conseil lây accompagne. Et vous, Poley ? Ãtes-vous amateur de théâtre ? »
Poley ricana.
« Je préfère passer mes soirées avec une fille de joie.
â Oui, jâai entendu parler des disparitions survenues dans votre sillage lorsque vous allez vous distraire ainsi.
â Je ne peux quand même pas les laisser en vie une fois quâelles ont vu mon cul.
â Câest vrai », gloussa Walsingham.
Marlowe se pencha en avant, ignorant Poley.
« Alors, monseigneur, vous avez vu les effets que les pièces ont sur le public. Comment elles mêlent des émotions, de la même manière quâune cuillère en bois mélange un ragoût. Comment elles évoquent toutes sortes de passions â la joie, la rage, lâardeur, la peur â et font que tous les gens présents ont la même pensée. Je me servirai de mes pièces, monseigneur, pour faire naître la discorde, pour allumer des feux dans le cÅur des hommes, pour dresser les protestants contre nos plus grands ennemis, les catholiques. Avec mes pièces, je peux faire le mal sur une très grande échelle. Et je suis bon dans ce domaine. Non, plus que bon. »
Walsingham fit lentement le tour de son bureau et sâassit à côté de Marlowe. Il prit du vin et se mit à rire.
« Je ne peux pas mâopposer à vos idées, Marlowe, ni à la confiance qui vous anime. Ce nâest pas notre manière habituelle de fonctionner, mais un des nôtres, un très grand, il y a longtemps, se prenait pour un artiste. Voyez-vous de qui je suis en train de parler ?
â Ãtait-ce Néron ?
â Oui, exactement. Il était, dit-on, un des grands artistes de son temps. Mais vous savez ce qui lui est arrivé ? Il est devenu fou. Toutes ses conquêtes sont tombées en poussière. Vous ne deviendrez pas fou, Marlowe, nâest-ce pas ?
â Jâespère bien rester sain dâesprit.
â Câest bien. Si cela devait ne pas être le cas, je craindrais dâavoir des ordres sinistres à donner à Mr. Poley. »
Â
Lâété passa, puis lâautomne. La nouvelle année arriva et, avec elle, le givre dans les champs et la glace sur les étangs. En février, avec les vents dâhiver qui balayaient le Northamptonshire, Marlowe arriva en diligence au château de Fotheringhay.
Lâair glacial ne parvenait pas à tempérer sa bouillante excitation. Les derniers mois avaient été grisants. Du jour où il avait écrit la lettre de Babington dans le verdoyant jardin de Mrs Bull jusquâà ce moment, où les portes massives de Fotheringhay sâouvrirent pour le laisser entrer, il avait eu lâimpression de vivre pleinement sa destinée. Son ascendance et son esprit lui avaient toujours donné un sentiment de puissance, mais lâexercice effectif du pouvoir était véritablement grisant.
Après que Walsingham eut
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