La Prophétie des papes
Narcisse. »
Babington partit à pas traînants avec lâenthousiasme dâun homme qui se voit bientôt conduit à la potence. Lorsquâil revint avec un pichet plein, Marlowe dit :
« Je vais faire aussi vite que possible. Poley doit porter cette lettre au brasseur à Chiswick dès ce soir car je crois que câest demain quâon livre le prochain tonneau à Marie. Ensuite, il ne restera plus quâà attendre la réponse de la dame. »
Babington avala deux chopes dâaffilée. Il ne lui importait pas de garder les idées claires.
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Le palais de Whitehall était une véritable ville. Il surpassait en taille le Vatican et les palais dâEurope et ce nâétait pas une mince affaire que de sâorienter dans les mille cinq cents pièces. Pour rejoindre sa destination, il fallait une bonne connaissance préliminaire des lieux ou les bonnes grâces dâun gentleman ou dâune lady serviable qui vous prenne par la main et vous conduise dans le labyrinthe des bureaux et résidences privées.
Marlowe savait désormais bien se repérer dans le palais et il se présenta avec empressement au bureau privé de Walsingham, le cÅur battant, le visage triomphant. Le secrétaire de Walsingham le salua cordialement et annonça son arrivée.
Walsingham sâentretenait avec Poley, aussi grave quâà lâaccoutumée, avec son visage buriné et ses cheveux noirs à lâaspect graisseux, qui étaient attachés sur sa nuque. Dans cet état, il serait passé plus certainement pour un brigand ou un soldat que pour un gentleman qui avait été un temps à Cambridge.
Les premiers mots quâénonça Marlowe en arrivant furent :
« Je lâai ! »
Marlowe ouvrit son écritoire et posa fièrement les parchemins sur le bureau. Walsingham se jeta dessus comme un faucon sur un campagnol. Pendant quâil les étudiait de près, Marlowe resta là , à enlever les poils blancs que lâun des chats de Mrs Bull avait laissés sur son pourpoint.
« Câest bien, très bien, dit Walsingham. Je vais faire envoyer le message codé au brasseur immédiatement. Est-ce que Marie a le nouveau code ?
â Elle lâa, dit Poley. Il se trouvait dans son dernier tonneau. Elle croira forcément que personne dâautre ne pourra lâavoir déchiffré.
â Puisse-t-elle répondre bientôt et montrer sa détermination, sâécria Walsingham. Une fois que nous aurons intercepté sa lettre, nous aurons sa saloperie de tête catholique, le ciel mâen soit témoin !
â Je voudrais être présent lorsque cela arrivera, dit Marlowe, imaginant le dénouement sanglant.
â Je mâassurerai que ce soit le cas. Et vous serez là pour voir Babington les tripes à lâair, hurlant à son Dieu. Comme les autres conspirateurs. Ensuite, les affaires sérieuses commenceront. Les partisans du pape voudront venger la chute de Marie. Vous savez ce que cela signifie ?
â Une guerre, Ã mon avis, dit Marlowe.
â Pas une guerre, plusieurs. LâEurope à feu et à sang, et en temps voulu, le monde entier. Et nous serons les seuls véritables vainqueurs. Prenant plaisir à mesure que sâentasseront les cadavres de catholiques. Nous récupérerons les terres et les affaires de tous les partis. Nous remplirons nos coffres. »
Marlowe hocha la tête, toujours debout.
« Asseyez-vous, dit Walsingham. Prenez du vin. Vous avez bien travaillé. Vous travaillez toujours bien. Quelle que soit la tâche quâon lui confie, à Reims ou Londres, Paris ou Cambridge, il sâen acquitte avec diligence, ne trouvez-vous pas, Poley ? »
Poley leva son verre avec raideur.
« Oui, il est assez précieux.
â Merci, monseigneur, dit Marlowe. Je ne recherche que votre contentement et lâavancement de notre cause. Mais, pour continuer à le faire, je vais avoir besoin dâune lettre du Conseil privé de la reine adressée à lâuniversité pour excuser mes absences. Ils ont lâintention de ne pas mâaccorder mon diplôme de second cycle parce quâils pensent que je vais en France pour me mêler aux papistes et encourager leurs agissements.
â Câest parce que vous êtes un acteur convaincant, dit
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