La Régente noire
Tous ces gens vous adorent, dit-il quand l’assistance se fut égaillée.
— Oui ! Comme on adore une vieille idole... Mais c’est à vous, maintenant, qu’ils doivent obéissance et loyauté.
Charles s’accroupit au chevet de sa marraine et commença de lui parler bas, si bas qu’elle-même dut faire un effort pour entendre.
— Je vous ai menti, ce matin.
— Je m’en doute !
— Au vrai, il faut que vous sachiez que l’empereur m’a fait proposer par La Vauguyon la main de sa sœur Éléonore. La reine du Portugal.
— Bien.
— C’est une invitation lourde de conséquences, et qui vise à me faire entrer dans une alliance contre le roi François.
— Fort bien.
— Cela fait plusieurs mois, maintenant, que l’empereur et le roi d’Angleterre me font des avances à peine voilées. Pour tout dire, je crois qu’ils me verraient assez bien tous deux dans la peau d’un traître.
— Où serait la traîtrise ?
— Je suis connétable de France, madame, et j’ai juré fidélité...
— ...à un suzerain qui vous délaisse, vous maltraite et cherche à vous déposséder ! N’oubliez jamais, mon fils, que l’empereur est à nos yeux le véritable héritier de la Bourgogne, et qu’il existe un pacte séculaire entre Bourguignons et Bourbons.
Le duc Charles soupira douloureusement. Il se releva, fit quelques pas jusqu’au rempart, en bordure du ravin. Dans son dos, sa belle-mère s’était redressée dans la litière et, d’une voix devenue forte, posa la seule question utile.
— Avez-vous donné votre réponse ?
— Joachim de Pompérant vient de partir la porter.
— Et quelle est-elle ?
— J’ai décliné... Poliment.
— Au diable votre politesse !
Charles se retourna. La douairière, défigurée soudain par la colère, venait en un instant de retrouver la fougue et l’autorité de la régente.
— Il n’est pas trop tard, rugit-elle. Faites lancer des chevaucheurs avec ordre d’intercepter ce message ! Et si cela ne se peut, qu’ils aillent eux-mêmes chez La Vauguyon et l’avertissent que vous voulez un peu de temps pour reconsidérer l’offre de l’empereur.
Le connétable secoua la tête. Puis il soupira plusieurs fois de façon très sonore, et se résolut à héler son intendant ; il lui répercuta l’ordre de l’ancienne régente. Mot pour mot. Il paraissait perplexe, néanmoins, et cherchait manifestement un appui dans le regard de sa marraine.
— Mon pauvre Charles, lâcha-t-elle mi-courroucée, mi-railleuse. Je me demande ce que vous ferez quand je ne serai plus là.
— Vous serez là longtemps encore.
Les yeux pâles d’Anne de Beaujeu s’abreuvaient des lointains bleutés de son Bourbonnais.
— Je ne crois pas.
Manoir d’Anet.
L es danseurs d’Anet avaient envahi le carrelage jonché d’herbes odorantes. La bande des musiciens attaqua deux ou trois branles, dans le but de leur dégourdir les jambes. C’était une danse animée, joyeuse : au centre d’une vaste ronde, un couple exécutait des figures que les autres, aussitôt, reprenaient en cadence.
Serré parmi ceux qui ne dansaient pas, le jeune Gautier de Coisay chercha des yeux cette jolie blonde qui, depuis le matin, n’avait cessé de lui jeter des regards à la dérobée. Ce teint lumineux, ce sourire angélique, ne lui semblaient pas inconnus. Il était même à peu près sûr de les avoir déjà remarqués – peut-être chez Mme Marguerite... Comment s’appelait-elle ? L’écuyer comptait ses bonnes fortunes au saut des girouettes ; en général, peu lui importaient les noms.
Tout à coup, il la repéra, qui dansait au bras d’un gentilhomme de la suite. Elle paraissait rêveuse, absente même ; et Gautier eut la vanité de croire que c’était à lui qu’elle songeait...
— Qui est donc cette jolie personne ? demanda-t-il à un ami des Brézé. La connaissez-vous ?
— Et comment ! C’est Françoise de Longwy, répondit le barbon. Elle est très liée à la grande sénéchale.
C’était donc ça... Le jeune homme se rappelait, à présent, qu’il avait eu, quatre mois plus tôt, commerce galant avec la jouvencelle. C’était à Saint-Germain, le soir de la naissance du prince Charles – juste avant son départ pour Moulins... Ce soir-là, il avait pensé rencontrer l’amour ; puis d’autres galanteries avaient chassé celle-là de son esprit.
Voyant se préparer un « branle du chapelet », au cours duquel les cavaliers désignent des
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