La Régente noire
chancelier s’approcha pour parler bas.
— Monseigneur est rentré d’Italie, madame. Son armée est en vue de Lyon.
— Et lui, mon gendre, où est-il ?
Le chancelier articula plus bas encore.
— Ici même. Il est arrivé chez Mme Marguerite...
La régente s’efforça de rester impassible. Mais la petite d’Heilly aurait juré qu’une colère palpable venait d’envahir sa maîtresse.
Abbaye de Saint-Just, quartiers de la duchesse d’Alençon .
L a princesse Marguerite, debout auprès de la cathèdre où son mari reposait, affalé, épongeait elle-même le front du malheureux. Une assistance inquiète, attentive, suivait la scène en silence. Le duc d’Alençon arborait un regard de chien battu – pauvre regard où entrait sans doute moins d’amour pour l’épouse que d’obligation sincère pour celle qui le soignait si bien.
— M’amie, gémissait-il, mon honneur a passé ; il est resté outre-mont...
— Ces lamentations ne vous seront d’aucun secours, protestait Marguerite. Alors, à quoi bon vous causer du mal ?
— Je voudrais tant mourir !
— Pourquoi faire une prison de votre liberté ?
— Mourir !
Le prince s’était redressé dans un sursaut. Mais il fut aussitôt brisé par une toux hachée, celle d’un poitrinaire à l’agonie. Un murmure parcourut l’assistance. La princesse posa ses paumes à plat sur le cou du prince.
— Écoutez-moi, dit-elle. Encore une fois, vous n’avez pas à vous reprocher les fautes commises par d’autres.
— J’aurais dû voler au secours de votre frère !
— Le roi n’était pas en position d’être secouru. Vous me l’avez dit vous-même : tout était joué...
— Certes...
— Alors ! De quoi vous mettez-vous en peine ?
— Madame va me demander des comptes.
— Ma mère ne vous demandera rien. Croyez-moi !
— Comment paraître devant elle ?
La question ne se posait plus : la régente venait en effet d’entrer chez sa fille ; elle parut, sombre et digne, devant son gendre.
— Ah, ma mère !
Le duc d’Alençon fit l’effort de se lever de sa cathèdre et d’avancer vers elle d’un air pitoyable. Se mettant à genoux, il voulut s’emparer de sa main droite pour la baiser. Mais la régente esquiva.
— Tenez-vous, monsieur, fit-elle d’une voix plus éteinte encore, plus sourde qu’à l’accoutumée.
— Ma mère !
— Levez-vous et cessez de vous donner en spectacle.
D’un geste à peine esquissé, la régente dispersa l’assistance qui, depuis près d’une heure, entourait ce lamentable rescapé.
Quand enfin la chambre fut vide et que, seule, les yeux baissés, Marguerite fut demeurée auprès de son mari, Madame rouvrit la bouche.
— Eh bien, s’enquit-elle enfin, qu’aviez-vous à me dire ?
— Ma mère...
— Je vous écoute.
Des larmes amères noyèrent la voix du duc d’Alençon. Il s’efforçait de parler mais n’émit aucun son.
— J’écoute ! insista Madame en s’efforçant de dominer sa colère.
— Mon Dieu...
— Eh bien ?
— Oh, ma mère !
Un long silence s’ensuivit, que la régente ne rompit qu’après en avoir épuisé tout l’effet.
— Dieu soit loué, monseigneur, je ne suis pas votre mère. Mon seul fils, à cette heure, moisit dans les geôles de l’empereur Charles Quint. Cela, en partie par votre faute. La seule question qui m’intéresse, dès lors, est celle-ci : pourquoi ne lui avez-vous pas porté secours ?
— Je... J’ai...
Le duc d’Alençon luttait contre la toux et les larmes. La mine décomposée, il tentait de rassembler ses esprits et de livrer à sa belle-mère l’explication que, des heures durant, il avait mise au point. Elle ne vint pas.
— Monseigneur, dit Madame, je ne puis empêcher que ma fille vous dorlote. Sa nature est secourable... Mais ne comptez en rien sur moi pour joindre des mensonges à ses consolations. Vous avez abusé de ma confiance, vous n’aurez pas ma bénédiction.
Louise fit volte-face dans un lugubre froissement d’étoffes ; elle s’apprêtait à franchir la porte quand son gendre, d’un cri déchirant, la retint.
— Ma mère ! hurla-t-il. Ma mère, j’implore votre pardon !
La régente demeura obstinément muette. Une expression confuse brouillait ses traits. Elle sortit sans un mot.
En trois ou quatre jours, la santé de Charles d’Alençon déclina si fort que l’on dut songer à lui prodiguer les sacrements. Marguerite, irréprochable, demeurait nuit et jour au
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