La Régente noire
s’entassant en pure perte dans les sacoches inertes d’un petit écuyer sédentaire, paresseux !
Maintenant, il n’était plus temps, pour Françoise, d’appeler Gautier au secours ; tout au contraire, on lui demandait de le repousser. Quand elle le vit, d’abord, elle dut se faire une violence extrême pour ne pas se jeter dans ses bras, l’embrasser à pleine bouche, pleurer de joie en le couvrant de caresses. Mais la peur de nuire à Gautier lui donna la force d’affecter à son égard une incroyable froideur. Lui, choqué par cet accueil – mais préparé en même temps par tant de lettres restées sans réponse –, eut la fierté de respecter son changement d’état.
— J’ai beaucoup redouté ce que je suis en train de vivre, articula-t-il.
— Ne fais pas l’enfant, s’entendit répondre Françoise. Tu aurais dû comprendre que nos ébats ne pouvaient durer toujours.
— Mais... C’est toi, ma Françoise, qui me parlais d’amour éternel !
— J’étais sincère, dit-elle, réprimant un sanglot. J’ai simplement changé d’avis.
— Mais comment ? Pourquoi ou plutôt : pour qui ?
— Il n’y a personne d’autre. Sache-le bien.
— Alors je ne comprends pas, dit Gautier. Il faut que tu m’expliques...
Ces adieux forcés, pour Françoise, prenaient des allures de supplice. Il lui fallait travailler – habilement si possible – à la destruction de la première, de l’unique réalité qui comptât pour elle : son amour, sa raison de respirer en ce monde. Comble de douleur : l’écuyer, plus beau que jamais en dépit des cernes qui creusaient son visage, se défendait pied à pied ; il opposait à la décision de la jeune fille des arguments qu’elle aurait pu reprendre à son compte.
— Tu regretteras ce que tu es en train de faire. Tu ne peux vivre sans moi, de même que je ne puis vivre sans toi... Nous sommes faits, nous sommes nés pour nous consacrer l’un à l’autre.
Françoise respirait fortement, prête à défaillir.
— Gautier, finit-elle par lâcher afin d’abréger la géhenne, il faut que tu saches que je ne t’aime pas.
— Oh !
Le garçon reçut ce coup avec surprise, comme un soldat fauché en plein combat par un impact dans le dos. Il vacilla, s’assit par terre, se plongea la tête dans les mains.
— Alors... Alors je comprends pourquoi... Tu ne répondais pas à mes lettres.
— Tes lettres ?
La jeune fille, à son tour, fut désarçonnée par cette botte involontaire. Elle qui, jusqu’ici, au prix d’insurmontables efforts, était parvenue à jouer le rôle qu’on lui avait assigné, se sentit ébranlée par cette révélation. Tout s’éclaircit comme par l’effet d’un rayon de soleil : ses lettres forcément détournées, le jeu de Diane de Brézé, l’affreux piège où elle avait failli se laisser enfermer.
— Gautier !
Le jeune homme retira de ses mains un visage ravagé.
— Que me veux-tu encore ?
Elle allait se précipiter vers lui, tout lui révéler, tout lui dénoncer quand la porte s’ouvrit sur Louis de Brézé.
— Je vous cherchais, dit le grand sénéchal en souriant.
Gautier de Coisay se releva comme il put.
— Monseigneur, je...
— Vous repartez dès demain, coupa le vieil homme en lui tendant un message. M. de Montmorency attend cette réponse.
— Si vous le souhaitez, dit Gautier en décochant à Françoise un œil noir, je puis me mettre en route ce soir même.
— À votre guise, répondit le grand sénéchal.
Diane de Brézé se dégagea de son ombre.
— Ce soir, c’est parfait, conclut-elle. Ce sera mieux pour tout le monde.
Françoise était polie ; elle attendit, pour s’évanouir, que tous trois eussent quitté la pièce.
Alcazar de Tolède.
A nne de Montmorency jeta un œil au grand miroir d’argent poli qui faisait le premier ornement de la pièce, absolument blanche, où patientaient ordinairement les ambassadeurs. Il était midi tout juste ; une clarté violente s’insinuait à travers un jeu de petits volets à chaînes tirés sur les fenêtres, et faisait néanmoins briller le sol vernissé ; dans le miroir, cette lumière nimbait le reflet du maréchal d’une sorte de halo.
L’émissaire du roi de France vérifia son aspect : sa haute mine, sa barbe châtaine toujours soignée, étaient servis par le costume : toque à plumet, saie de brocard, grand collier de chevalerie ; une superbe épée d’or au côté... Par les crevés de l’habit
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