La Régente noire
première fois. C’est à ce moment seulement que François nota une curieuse absence.
Celle de Marguerite ne l’avait pas surpris : avant même son entrée dans Bayonne, on lui avait fait part du retard pris par la princesse, et de son arrivée annoncée comme imminente. En revanche, il s’étonna de ne voir nulle part Mme de Châteaubriant, favorite en titre, et dont la fidèle correspondance avait, de semaine en semaine, adouci quelque peu sa détention. La belle Françoise était-elle indisposée ? Le roi n’osa poser la question à sa mère.
Tandis que les dames, toutes plus rayonnantes, s’abîmaient devant lui dans une succession de révérences, offrant à ses yeux avides un tourbillon de chairs divinement drapées d’or et d’argent, François ne put s’empêcher de jeter quelques regards alentour... Ses yeux revenaient toujours à cette demoiselle d’honneur, toute jeune et pâle et fine, et lumineuse, aux yeux plus limpides qu’un ciel de printemps. Quel port modeste, vraiment !
— Anne d’Heilly de Pisseleu, l’avait présentée la régente, appuyant bien chaque syllabe et surveillant, du coin de l’œil, la réaction de son fils. Cette jeune personne est entrée à mon service avant votre départ, mais peut-être n’en conserviez-vous pas le souvenir, ajouta Madame.
— Si fait, répondit le roi du bout des lèvres.
— Son esprit, insista la mère indiscrète, est aussi fin que son enveloppe charnelle. Et je ne sais personne qui lui soit supérieure, à la Cour, en Lettres comme en Sciences.
Le roi sourit. Pensait-il encore à sa vieille maîtresse ?
— Je ne vois pas la comtesse, ferait-il remarquer, un peu plus tard, à Lautrec.
— Ma sœur devrait être ici, admit le maréchal. Nous l’avions avertie du retour de Votre Majesté pour le 15 mars... Mais elle a pris du retard.
— Qu’en savez-vous ?
— J’ai reçu de ses nouvelles hier matin. Elle accourt, sire. Elle accourt...
Le roi fronça les sourcils. Comment aurait-il pu imaginer que sa mère, manœuvrant de la pire manière, s’était arrangée pour retarder le courrier de Mme de Châteaubriant, et la faire prévenir trop tard de la libération du roi ? Françoise avait eu beau se mettre en route sur-le-champ, harceler les montures, brûler les étapes, elle n’avait pu paraître à l’heure au grand rendez-vous.
— Elle me déçoit, fit observer François I er .
Bayonne .
D ès le premier soir, le roi mit dans son lit la petite Anne d’Heilly. Un murmure parcourut la Cour : ce corps à peine formé, cet esprit tout virginal, pourraient-ils satisfaire l’appétit du fauve, exacerbé par de longs mois d’abstinence ? Si François lui-même en doutait, il dut se rendre à l’évidence : Mlle de Pisseleu n’était point si farouche en fait qu’en apparence. À peine entrée dans la chambre du roi, elle manifesta même des talents inouïs pour son âge, et qui l’eussent faite regarder comme aguerrie dans certaines maisons réputées de Venise...
— Est-ce dans les livres qu’on apprend cela ? demanda François, sidéré.
Anne usait de ses charmes en experte. En quelques caresses, avec ce qu’il fallait de petits cris et de pauses alanguies, elle sut prendre d’emblée sur le roi un ascendant d’autant plus fort qu’il passait pour soumission. Ils s’unirent dans une harmonie prometteuse.
François, marqué par sa captivité, craignant peut-être de n’y avoir laissé une part de sa virilité, découvrit qu’il n’en était rien. Ses sens ne s’étaient pas émoussés. Même, ils avaient dû s’aiguiser sous l’effet du manque. Et Anne pouvait combler tous les manques...
— C’est trop, murmura François, surpris lui-même de s’entendre prononcer des mots qu’autrefois, il eût réservé aux femmes.
Au fond de son esprit, c’étaient des tours qui s’effondraient, des cachots qui crevaient, des grilles que consumait une joie neuve et ravageuse.
— C’est trop...
La jeune fille gloussait gentiment, quand elle ne riait pas de bonheur. Comme une fée sensuelle et tendre, elle jouait de ses cheveux, de sa langue, de chaque parcelle de son corps, avec une liberté, une furie inventive, qui parurent presque irréelles à l’amant royal. Mais elle ne commit pas pour autant l’erreur de se vautrer dans la lascivité. Elle eut soin, au contraire, d’assortir son savoir-faire de toute l’ingénuité naturelle à ses dix-huit ans, et de relever, de pimenter par
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