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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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parfaits, répond Olympe qui, à vrai dire, n’a rien remarqué. Bonsoir Joseph. Il faut absolument que je vous voie.
    Depuis quelque temps, Joseph se ménage : il rentre plus tôt chez lui, passe moins de temps au siège de la Compagnie. Pourtant, chaque fois qu’elle le revoit, elle le trouve un peu plus soucieux. Sa belle sérénité d’autrefois a fait place à une sourde préoccupation dont elle ne parvient pas à connaître l’origine. Même Marie-Thérèse ignore ce qui le tracasse. Est-ce la conscience de l’âge, la peur de la maladie et de la dégénérescence ? ou son inquiétude récurrente pour Marc, toujours aux États-Unis, et que les succès là-bas éloignent chaque jour un peu plus de sa patrie au risque de l’oublier ? Est-ce encore l’état de décrépitude de la cour impériale de Pékin et l’avenir de son pays ? Nul ne le sait puisqu’il ne se confie à personne.
    Joseph lève les yeux de son journal, sourit à Olympe et se redresse avec quelque difficulté pour l’embrasser. Une fois de plus, elle note la fragilité de son regard derrière ses lunettes et s’assied près de lui en gardant sa main dans la sienne.
    — Joseph, dit-elle. Je sais que vous avez beaucoup de pouvoir auprès du Taotai. Usez-en dès demain pour essayer de mettre un terme à cette stupide grève des commerçants et surtout à ces intimidations contre les étrangers. Les Français réclament déjà au consul d’envoyer la troupe et si l’on veut éviter un massacre…
    — J’essaierai, répond Joseph d’une voix mal assurée. Mais vous savez, même le Taotai n’a pas le pouvoir de canaliser la foule, et moi encore moins.
    — Je n’en crois rien, Joseph. Je vis depuis troplongtemps ici pour ignorer que les mouvements de foule chez vous sont rarement spontanés. Ils répondent tous à des ordres précis. N’oubliez pas que j’ai vu de près la révolte des Boxers dont il ne fait aucun doute qu’elle était manipulée par l’impératrice et son gouvernement bien qu’ils aient affirmé le contraire. La duplicité est un art en Chine, je l’ai appris à mes dépens.
    Joseph a son petit rire étouffé qu’il masque de la main.
    — Je sais depuis longtemps que l’on ne peut rien vous cacher, chère Olympe, répond-il. Mais en l’occurrence, croyez-moi, il s’agit d’un mouvement spontané qui montre surtout que mes compatriotes refusent d’être jugés par des étrangers et qu’ils souhaitent leur départ.
    — Même de gens comme nous ? interroge Olympe, étonnée.
    — Je le crains, oui. Et je pourrai difficilement m’y opposer.
    Olympe le regarde, désagréablement surprise. Lui qui a toujours soutenu les Esparnac, c’est la première fois qu’il semble prendre ses distances. « Malgré tout ce que nous faisons pour eux ? », est-elle à deux doigts de lui demander, mais elle se contient et c’est Marie-Thérèse qui s’indigne.
    — Que dis-tu, Joseph ? s’écrie-t-elle. Comment oses-tu prétendre que nous ne pourrons pas empêcher cette populace de chasser Olympe, Patrick O’Neill et les enfants ? C’est indigne de toi. Jusqu’au bout, tu m’entends, je m’y opposerai et il faudra qu’ils me passent d’abord sur le corps !
    Joseph est à la torture. Comment révéler à sa femme et à leur vieille amie qu’il est à la tête d’une des plus puissantes sociétés secrètes de l’empire du Milieu, que celle-ci soutient Sun Yat-sen, cet agitateur politique qui fait de plus en plus parler de lui et qui veut établir un État fédéraldans le sud de la Chine, renverser le trône impérial et fonder une république ? Ou que ce même Sun Yat-sen est en négociation secrète avec le gouvernement français pour que celui-ci lui fournisse des armes et le soutienne politiquement ? Ou encore que les événements des deux derniers jours à Shanghai ne sont qu’un avant-goût de ce qui va se passer bientôt à une plus grande échelle dans les grandes villes du Sud ?
     

 
     
     
     
     
     
     
    35.
     
     
     
    Sur le Bund, devant le Shanghai Club, la Delaunay fait sensation. Des dizaines d’Européens et de Chinois s’agglutinent autour d’elle pour admirer ce curieux carrosse en métal à quatre roues qui relâche de la fumée par un tuyau à l’arrière. Louis Esparnac est le premier Français de Shanghai à posséder une automobile. On en a bien vu quelques-unes, venues d’Angleterre ou d’Amérique, une Rolls-Royce, une Studebaker et une Cadillac, mais

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