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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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confiant dans ses plans, il n’a pas su décrypter les signes comme il savait le faire autrefois et elle aurait pu l’aider. Alors il aurait compris que les crues monstrueuses du Yangzi de l’été 1912 étaient un avertissement du Ciel, le signe qu’il manifestait sa colère contre les hommes, contre lui peut-être, et qu’il leur disait que l’harmonie immémoriale entre eux et lui était rompue. Les cent ou deux cent mille morts emportés par le fleuve pouvaient-ils être autre chose que l’annonce de prochaines victimes en grand nombre de guerres àvenir ? Celles qui devaient ensanglanter la Chine pour que s’accomplisse son destin ? La guerre est là, à Shanghai même, pour le contrôle de la ville. Armée du Sud, fidèle à Sun, contre armée du Nord. Combats incertains à coups de canon et de mitrailleuse dans lesquels les Longs Nez se gardent d’intervenir mais qui les inquiètent et qui ont conduit plusieurs navires de guerre à s’ancrer sur le Huangpu. La guerre civile n’est peut-être pas leur affaire, mais si elle nuit au business, elle va le devenir rapidement.
    — Marie-Thérèse, je me demande si nous n’avons pas libéré un terrible dragon, murmure-t-il, et s’il ne va pas dévaster toute la surface de la terre.
    Marie-Thérèse lâche sa main et se plante devant lui, avec un sourire ironique, petite femme plus sage que le plus sage des lettrés de l’Empire.
    — Les dragons n’existent pas, Joseph, affirme-t-elle. Seul Dieu est, et ses desseins sont impénétrables. Bien orgueilleux celui qui croit avoir la moindre influence sur le cours des choses. Tu n’as donc aucune raison de te préoccuper de ce qui va survenir.
    — Dieu ne décide pas de tout. Les hommes ont leur part de responsabilités. Quand ils se tuent les uns les autres, Dieu n’y est pour rien. C’est cela que j’appelle le dragon : la folie meurtrière des hommes que même Dieu est incapable de faire cesser.
    Marie-Thérèse pousse un soupir fataliste. Elle n’aime pas le pessimisme dont se nourrit son mari depuis des mois. Lui autrefois si lucide sur les réalités humaines, si froidement calculateur mais si optimiste au fond et si confiant en l’avenir, il semble ne plus croire en rien ni espérer quoi que ce soit. Même le sort de la Compagnie du Yangzi, son plus bel enfant, semble lui être indifférent.
    — Rentrons, il se fait tard, Joseph, et le vent se lève,dit-elle d’une voix douce en l’arrachant à sa morbide contemplation.
     
    *
     
    — Je vais divorcer, annonce Deborah Alexander.
    Elle vient de rejoindre Louis dans le petit appartement où ils abritent leurs amours. Elle d’ordinaire si souriante, si gourmande de plaisirs clandestins s’effondre en pleurs dans ses bras.
    — C’est la seule solution pour rester avec toi, sanglote-t-elle.
    En quelques mots, elle explique à Louis que son mari est rappelé en Amérique le mois prochain, qu’elle doit le suivre mais qu’elle ne veut pas quitter son amant français et préférerait mourir plutôt que de rompre avec ses baisers, sa fougue, sa passion amoureuse, pour rentrer dans cette Amérique puritaine où elle va s’ennuyer à mourir. Louis est consterné. Il ne s’attendait pas à cette nouvelle alors qu’il se réjouissait à la perspective des quelques heures de plaisir qu’il allait passer avec l’Américaine. Avec le temps, loin de s’émousser, leur désir s’est renforcé et Louis s’est peu à peu attaché à cette femme volcanique qui comble ses sens tout en le dispensant des obligations pesantes d’un mariage ou d’une liaison officielle.
    Mais entre ces après-midi galants et la vie commune, la différence est de taille, se dit-il. Si Deborah divorce pour lui, il ne devra pas l’accueillir seulement dans son lit, mais dans sa vie, sa maison, il devra vivre avec elle et l’épouser. On vit difficilement dans le péché, à Shanghai, surtout si l’on est un Shanghailander connu et respecté comme lui. Bien qu’il accorde peu d’importance à ce que ses concurrents disent de lui, il n’a aucune envie de mettre en danger les affaires de la famille en laissant croire qu’il aenlevé la femme d’un respectable banquier américain. Ni les Anglais ni les Américains ne lui pardonneraient une conduite aussi scandaleuse. La vraie question est ailleurs : est-il suffisamment amoureux de Deborah pour franchir le pas ? se demande-t-il. La réponse est non. Deborah est un merveilleux passe-temps, pas une histoire

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