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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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nom. Et même s’il a prétendu que Sun Yat-sen avait promis de ne pas toucher aux étrangers de Shanghai, Louis reste méfiant. Joseph a beaucoup changé ces dernières années et ce n’est pas uniquement l’âge.Pourquoi ne leur a-t-il jamais dit qu’il était proche de Sun Yat-sen au point de le soutenir en secret ? Louis se demande quel rôle il a joué dans cette étrange révolution sans leur en avoir parlé une seule fois.
    À vrai dire, peu importe : y a-t-il meilleur moment qu’une révolution pour transgresser les interdits, faire bouger les hommes et les choses, imposer les idées les plus révolutionnaires et l’existence d’un parti politique ? se demande Louis en se levant, engourdi par le froid. Sans doute pas. Debout face au vent qui s’engouffre sur le Bund, les mains dans les poches de son manteau dont il a relevé le col de fourrure, Louis regrette de ne pouvoir se rendre à son rendez-vous avec sa voiture. Il a dû la laisser au siège de la Compagnie. Trop voyante pour les faubourgs de la ville chinoise où il doit rejoindre le plus discrètement possible son camarade Lao Sun. Il tire une cigarette de son paquet de Capital Ship, l’allume, hèle un rickshaw et, à peine calfeutré dans le petit habitacle, ne se sent déjà plus le patron respecté d’une des plus grosses sociétés de Shanghai. Quelques minutes lui suffisent pour entrer dans la peau de l’agitateur politique qu’il se plaît à être une fois ou deux par mois avec ses amis syndicalistes. Et, ce soir, Louis veut l’être encore plus que d’ordinaire puisque leur groupe va décider de créer ou non ce Parti du travail auquel ils songent depuis si longtemps.
     

 
     
     
     
     
     
     
    38.
     
     
     
    Les yeux de Joseph Liu s’imprègnent lentement de larmes. Il ne peut retenir les vagues de tristesse qui l’envahissent et sa main serre plus fort celle de Marie-Thérèse. Devant eux, des centaines d’ouvriers achèvent de démolir les remparts de la ville chinoise à coups de pioche et des coolies, fourmis innombrables, en transportent les débris, terre et briques mêlées, dans des paniers suspendus à la tige de bambou qui se balance sur leurs épaules. Ce ne sont pas seulement des murailles médiévales qu’ils écroulent, c’est tout un monde, le sien, celui de son enfance et qui durait depuis mille ans, qui est en train de disparaître, abattu par l’Histoire en marche, le siècle nouveau qui envahit tout, la modernité qui prend tous les droits.
    Joseph devrait pourtant être heureux. Il a atteint son but, la république a été instaurée, l’empereur a abdiqué, les Chinois sont désormais maîtres de leur destin sans être inféodés au monarque mandchou imposé par les siècles. Un vent favorable s’est levé, une nouvelle ère s’annonce. Mais Joseph se rend compte aujourd’hui à quel point il a eu tort d’avoir cru que tout allait s’éclairer d’un coup, que la liberté allait pacifier le pays et les appétits de pouvoir ; la Chine nouvelle est à l’image de ces remparts en ruine, elle s’écroule, minée par les ans et les rivalitésdes généraux des différentes armées, ceux que les Diables étrangers appellent déjà les seigneurs de la guerre. Il s’en veut d’avoir oublié que le Ciel reste le maître des choses et que celles-ci s’accomplissent uniquement lorsque Dieu l’a décidé. La république est née mais la Chine est tombée dans le chaos.
    — J’avais bien prévu que Sun Yat-sen laisserait la présidence à Yuan Shi-kai puisqu’il n’a aucun moyen de s’opposer à lui, dit-il d’une voix pleine de regret. Mais pas que celui-ci serait prêt à déclencher une guerre civile pour imposer sa dictature.
    — Pour la première fois de ton existence, Joseph, tu as été présomptueux, lui reproche Marie-Thérèse d’une voix presque sévère. Et Dieu t’a puni. Tu croyais pouvoir tout agencer, tout diriger de loin, tu pensais maîtriser la situation. Mais tu oubliais que les hommes ne font jamais ce qui est prévu. Et tu aurais dû te douter que la guerre allait suivre, immanquablement. Si tu me l’avais demandé, je t’aurais dit qu’elle était inéluctable car elle est l’enfant sanguinaire de toutes les révolutions. Les femmes savent cela d’instinct.
    Joseph regarde sa femme avec étonnement. Marie-Thérèse a raison et il aurait dû lui faire davantage confiance durant toutes ces années où il travaillait en secret au renouveau de la Chine. Trop

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