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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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la scène. Tous se taisent. On voit dans leurs yeux qu’ils comptent les coups et font intérieurement des paris sur le temps que tiendra encore le pousse-pousse et le moment où le Blanc sera fatigué de cogner. Dans leurs regards avides de voyeurs muets, toute la secrète jouissance du malheur de l’autre.
    Attirés par l’attroupement, Louis et Marc, qui rentrent rue Discry après s’être arrêtés chez les Liu, se glissent au premier rang et découvrent, horrifiés, l’homme rachitique au dos martyrisé dont les côtes craquent et son bourreau.
    — Il se fait corriger pour avoir fait tomber le Diable étranger, commente Marc, fataliste.
    — Comment peux-tu dire ça ? répond Louis. Ce n’est pas une correction, c’est un massacre !
    Marc se contente de détourner les yeux sans répondre.
    — Et pourquoi tous ces Chinois rigolent-ils au lieu de le secourir ? s’indigne Louis. Comment peuvent-ils accepter qu’un des leurs soit traité aussi sauvagement ?
    La révolte monte en lui. Autant que le spectacle d’un homme qui en frappe un autre, c’est celui des Chinois qui le révulse. Au mieux, ils observent, impassibles, indifférents, apparemment abrutis, au pire, ils s’esclaffent à chaque coup qui s’abat sur le peau éclatée du malheureux.
    — Pourquoi ne l’aidez-vous pas ? leur crie-t-il en chinois.Et vous, arrêtez de lui taper dessus ! dit-il en tentant d’arrêter le Blanc. Vous allez le tuer !
    — Leave me alone, bloody bastard ! répond l’homme, furieux.
    D’un coup de poing en pleine figure, il envoie Louis par terre et s’apprête à le corriger quand cinq Chinois s’interposent sans un mot. Ont-ils l’air assez déterminé ? Surpris, l’Anglais suspend son geste, leur lance un juron et tourne les talons, son stick sous le bras. Dans un brouillard de douleur, Louis le voit s’éloigner et essuie le sang qui coule de son nez. Alors seulement, le coolie commence à gémir, écroulé sur le sol, ses côtes meurtries saillant à chacune de ses respirations. Sa pâleur est extrême.
    — Il va mourir, dit Louis en s’approchant de lui. Il faut l’emmener à l’hôpital.
    Mais, tandis que Marc l’aide à se relever, les Chinois qui l’ont protégé sans un mot prennent le malheureux par les pieds et les bras et l’installent sur un rickshaw. Le plus âgé s’approche de Louis et le regarde droit dans les yeux.
    — Xièxiè , dit-il simplement avant de rejoindre les autres. 
    — Où l’emmenez-vous ? demande Louis.
    Le Chinois ne lui répond pas.
    — Ne t’inquiète pas, dit Marc. Ils vont s’occuper de lui. C’est toi qui lui as sauvé la vie, à ce pauvre bougre.
    — Pourquoi l’ont-ils laissé si longtemps se faire martyriser par cette brute ? Ils n’ont donc aucun courage ?
    — Si, mais la peur des Blancs est trop forte. Les Diables étrangers ont à peu près tous les droits, tu le sais bien.
    — Y compris celui de cogner sur un sujet de l’Empire ?
    — Formellement non, mais s’ils le font, qui le leur reprochera ? Qui le leur interdira ? Personne, sauf s’il s’agit d’un personnage important ou d’un fonctionnaire. Pour le peuple ou les pauvres, chacun fait comme il veut. S’ils meurent sous les coups, quelle importance ? Ils sonttellement nombreux et personne ne se préoccupe d’eux, surtout pas le Taotai ou les fonctionnaires impériaux qui agissent de la même façon. Hormis quand ils ont besoin de provoquer les Blancs.
    Dégoûtés, les deux amis reprennent lentement le chemin de la rue Discry.
    — Une chose est certaine, poursuit Marc. Toute la ville chinoise va bientôt savoir qu’un jeune Français a empêché l’un des nôtres de se faire massacrer par un Diable anglais. Et quand ils apprendront que tu es le fils du Tigre Noir, ta légende se répandra dans toute la ville chinoise.
    — Tes compatriotes feraient mieux de se secourir mutuellement plutôt que d’attendre que d’autres le fassent à leur place ! Aide-moi à résoudre ce mystère, Marc : pourquoi restez-vous si apathiques face à la misère, à l’injustice, à l’exploitation ? Pourquoi ne vous révoltez-vous jamais ?
    Marc Liu se met à rire.
    — Les Chinois se révoltent seulement quand l’empereur ne remplit pas le mandat qu’il a reçu du Ciel et que la famine menace, ou quand les fonctionnaires se montrent trop gourmands. Mais, sinon, nous ne bougeons pas. Nous sommes trop occupés à survivre ou à nous enrichir.
     
    *
     
    Rue Discry,

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