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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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lui a fait vivre, à cette ardeur amoureuse qui l’a emportée et lui donne envie, ce matin,d’embrasser le monde, de crier à tous sa joie, de sourire à tous les inconnus qu’elle croisera et surtout de recommencer.
    — Charles, tu m’entends, je le sais, chuchote-t-elle en se dirigeant vers la console où est posée la photo de son mari, figé pour l’éternité dans son cadre doré.
    Olympe lui parle souvent, et prend soin de remettre régulièrement de l’huile dans la petite lampe qui brûle nuit et jour devant son portrait. Combien de fois, dans sa désespérante solitude, s’est-elle adressée à lui, lui reprochant d’être parti trop vite, de les avoir abandonnés, elle et ses deux petits ? Combien de fois, dans les moments de doute, a-t-elle imploré son aide et, dans les moments heureux, lui a-t-elle raconté ses succès en lui en attribuant la moitié du mérite ? Combien de fois l’a-t-elle interrogé sur les raisons de sa mort, ne recueillant pour toute réponse que le silence obscur de cette photo qui garde son secret. Ce matin, tout est différent, et elle doit le lui avouer.
    — Charles, tu n’as cessé d’être à mon côté, tu le seras toujours et je te chérirai jusqu’à ma mort, murmure-t-elle. Mais, en attendant, il me faut vivre. C’est-à-dire ne pas me dessécher comme une nonne. Cela signifie que je dois faire de la place dans mon cœur. T’écarter un peu pour laisser venir en moi un autre homme. Un homme bon comme tu l’étais, un homme qui m’aime comme tu m’aimais, un homme qui m’a offert de goûter à nouveau les fruits de l’existence. Tu l’aurais aimé si tu l’avais mieux connu. Je voulais te dire qu’en attendant de te rejoindre là où tu es pour l’éternité, j’ai décidé d’aimer à nouveau, de redevenir une femme sans cesser de rester la tienne à jamais. Mon âme est à toi, Charles, elle te reste fidèle mais mon corps m’appelle vers un autre homme, merveilleusement vivant, lui, et qui pourra m’apporter un peu de ce bonheur que tu m’avais donné si généreusement. Je veuxque tu le comprennes et que tu l’acceptes, Charles, et que tu me laisses vivre.
    Le regard d’Olympe se brouille, quelques larmes perlent sur ses joues. Le portrait de Charles devient flou, il se perd dans le temps, s’estompe et se confond avec l’indistinct des choses et au même moment la flamme de la petite lampe à huile s’éteint lentement, comme si elle avait épuisé toute son énergie.
    Olympe sourit : à travers cette fumée légère qui s’échappe de la mèche, Charles vient de lui rendre sa liberté.
     

 
     
     
     
     
     
     
    11.
     
     
     
    Les coups de bâton tombent, l’un après l’autre, furieux, méthodiques, sur le dos décharné du coolie qui ne geint même pas. Accroupi par terre, il tente de se protéger de ses deux bras repliés sur la tête. Geste vain. Pas un cri. Juste le bruit mat des chocs sur la peau qui bleuit, les os qui craquent et le souffle rauque du Blanc à chacun de ses coups. Le Chinois n’a pas d’âge. Il pourrait avoir vingt ou quarante ans, il aurait le même masque de souffrance, la même résignation, figure immémoriale des miséreux et des moins-que-rien, certains que la bastonnade est leur destin, leur seule raison d’exister, certains qu’elle est pour eux dans l’ordre des choses depuis l’éternité.
    Debout, le Blanc tape à s’en dégoûter ou à s’en casser le poignet. Il déverse sa haine du sous-homme avec toute l’application du bien-pensant. Il n’a rien d’une brute. Sous son costume de lin clair, il porte cravate et gilet, et ses mouvements laissent entrevoir la chaîne en or de sa montre de gousset. C’est un civilisé. Il est jeune, ses cheveux courts sont coiffés en brosse et si ce n’étaient les quelques gouttes de sueur coulant de son front ou les veines gonflées de son cou, on jurerait qu’il se livre à l’une de ses besognes habituelles. Peut-être l’est-elle, après tout. Son visage est aussi impassible que celui de sa victime.Pour lui, le coolie n’est qu’une bête de somme tout juste bonne à être châtiée. Seul son chapeau tombé par terre trahit sa violence. Concentré, il frappe méthodiquement, calme et endurant, et ses coups ont la régularité d’un métronome.
    À côté de lui, un rickshaw renversé sur le côté, son essieu cassé et, tout autour, un attroupement de Chinois hilares et quelques badauds européens. Tous regardent intensément

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