Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
Vom Netzwerk:
vasque de bronze où brûlent des bâtonnets d’encens. Aucun Européen n’est jamais entré ici, encore moins une femme, lui glisse le maître. Olympe le remercie de cet insigne honneur et s’incline devant lui pour lui manifester respect et considération. Geste qui n’a rien d’un simulacre même si elle devine que cette marque de déférence devrait garantir, au moins pour un temps, le contrat qui lie la Compagnie du Yangzi et la Guilde. Comme on l’attend d’elle, elle allume ensuite un faisceau de baguettes d’encens et l’agite trois fois devant son front, manifestant ainsi sa reconnaissance aux esprits, aux dieux, aux ancêtres et à tout ce que la Chine comprend d’entités invisibles. Derrière elle, Olympe perçoit les murmures d’approbation etd’étonnement devant sa capacité – elle, une Barbare – à accomplir convenablement les rites.
    Le banquet auquel elle est conviée dépasse tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Assise à une table dressée sur une estrade, seule au côté du maître, elle domine une immense salle où plusieurs centaines d’invités attendent qu’elle prenne place avant de s’asseoir à leur tour. Dès qu’elle s’assied, imitée par le maître, un vacarme assourdissant s’élève aussitôt: chaises raclant le sol, cris et exclamations de joie que couvre à peine un orchestre de pipas , ces mandolines chinoises qu’elle affectionne, d’ erhus , ce petit violon à deux cordes dont elle n’a jamais compris ce que les Chinois lui trouvent, d’orgues à bouche, que ponctuent coups de cymbales et de tambours. Au même instant, une nuée de serviteurs apporte une multitude de plats tous plus artistement présentés les uns que les autres. Même chez les plus riches taipans de Shanghai, Olympe n’a jamais vu pareille profusion. Tous les légumes et les fruits de la province semblent avoir été cuisinés pour lui montrer sa richesse. Porc, canard, bœuf, poissons et crabes du fleuve ont été préparés de multiples façons, accompagnés par toutes les variétés possibles de dofu , le fromage de soja, que les cuisiniers de la Guilde ont mis un soin particulier à préparer en son honneur.
    Olympe sait parfaitement que le banquet est un rituel qui l’oblige à goûter à peu près à tout en s’aidant de courtes rasades d’alcool de riz. Elle ne s’y dérobe pas. Une part de sa réputation vient de sa capacité à enchaîner les kampé comme un homme sans donner le moindre signe d’ivresse. Et comme elle sait qu’en Chine aucun banquet ne doit traîner en longueur – sous peine de laisser croire à son hôte qu’on n’aurait pas assez mangé – elle n’hésite pas à avaler un trait d’alcool à chaque toast porté par le président de la Guilde, son second, ouelle-même. Pendant ce temps, la cargaison de soja – plusieurs tonnes – est embarquée sur la Cheng Gong . Dès que le transbordement sera achevé, le banquet prendra brusquement fin et elle n’aura plus qu’à retourner sur sa jonque pour s’y assoupir en toute quiétude.
    Ce retour à Shanghai sera le dernier voyage de la Cheng Gong . Ensuite, elle devra la vendre. Alors que le maître de la Guilde continue de l’abreuver de propos de plus en plus égrillards où il ne dissimule plus qu’il est prêt à lui faire connaître les raffinements de l’amour chinois, face à ces centaines d’hommes bâfrant à grand bruit, elle a une pensée fugace pour Charles: il aurait été impressionné de la voir, impériale et naturelle, au milieu de tous ces Hans qui ne pensent qu’à remplir leur estomac mais qui, bien des années plus tard, pourront raconter à leurs petits-enfants qu’ils ont banqueté, un jour, avec la Reine du Yangzi, cette légendaire femme blanche qui était presque devenue l’une des leurs.
     
    *
     
    — Nous sommes trop près de la rive, Zhao Fu, prévient Olympe. Je n’aime pas ça. Nous risquons de nous échouer.
    Ils ont quitté les quais de Nankin en fin de journée et elle est allée aussitôt se coucher dans sa cabine. Réveillée à trois heures du matin, nauséeuse et la tête lourde, elle est remontée sur le pont qu’un modeste fanal éclaire et s’inquiète de voir la Cheng Gong s’approcher dangereusement du bord marécageux du fleuve.
    — Les courants, madame, répond le lao tai . Ils sont traîtres en cette saison et quand je veux retourner vers le milieu du fleuve, ils me rabattent par ici.
    — C’est parce que tu ne remontes pas assez au

Weitere Kostenlose Bücher