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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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vent, dit-elle en jetant un coup d’œil sur les voiles qu’elleentend faseyer. Fais carguer davantage la toile et tu pourras aller jusqu’au milieu du fleuve.
    Dans la nuit noire, Olympe distingue plusieurs feux, loin en aval, fanaux de jonques ou de vapeurs qui descendent le Yangzi comme elle, et quelques faibles lamparos qui trahissent la présence de pêcheurs lançant leurs filets de leur sampan. Aucune étoile n’est visible au-dessus d’elle: le ciel n’est qu’une masse de nuages dont elle sent la pression orageuse malgré la fraîcheur qui monte du fleuve.
    «Pourvu qu’il ne se mette pas à pleuvoir», se dit-elle, inquiète. Lors de sa dernière livraison, des trombes d’eau s’étaient brusquement abattues sur le bateau – c’était, heureusement, le Charles – et d’un coup tout s’était obscurci autour d’eux, bien qu’on ne fût qu’à la mi-journée. Sur les immensités nautiques du Yangzi, aucun des maigres repères habituels – pagode isolée, toit d’un temple, remparts d’un village fortifié – n’était visible, même aux jumelles. Seul le compas du Charles leur avait permis de garder le cap malgré les bourrasques de vent, les monstrueuses abattées de pluie qui les rendaient aveugles et les eaux déchaînées du fleuve.
    Elle ne le montre pas, mais la peur s’infiltre en elle dans cette nuit pleine de pièges invisibles où sa jonque avance trop lentement à son goût. La lumière, la délivrance ne viendront qu’à l’aube et elle prie pour ne pas faire de mauvaises rencontres, rochers affleurant à la surface, tronc d’arbres dérivant et, pis que tout, pirates prêts à l’aborder sans un bruit, plus silencieux que des fantômes. Joseph Liu a raison, elle ne devrait pas s’exposer inutilement au danger. Au loin, elle perçoit soudain la pulsation sourde des machines d’un steamer. Il approche par le travers et, bientôt, elle distingue ses feux, sa masse imposante qui se profile à moins d’un mille, surmontée par le rougeoiement, visible dans la nuit, de sacheminée et, d’un coup, ces deux projecteurs qui trouent la nuit, leur aveuglante lumière qui balaie le pont, ce mugissement de sirène suivi du crachotement d’une rafale de mitrailleuse dont les balles déchirent l’opacité molle de la nuit. Puis ces mots, en chinois, venus d’un porte-voix, sans appel:
    — Ici le commandant de l’ USS Oklahoma , canonnière de la marine des États-Unis d’Amérique, entend Olympe. Mettez en panne. Nous devons vous contrôler.
     

 
     
     
     
     
     
     
    3.
     
     
     
    Le bureau du consul des États-Unis, sur Huangpu Road, de l’autre côté de la rivière Suzhou, dans la partie américaine de l’international settlement, est particulièrement spectaculaire. Un énorme bureau d’acajou et un large fauteuil en cuir brillant tournent le dos au bow-window qui donne sur la rivière. Sur le côté droit, le drapeau américain surmonté d’une aigle dorée, puis le portrait de George Washington, main sur la Bible, celui du président Benjamin Harrison, et sur chaque mur des tableaux représentant les grandes villes américaines, les photos des canonnières qui patrouillent sur le Yangzi et celle d’un croiseur cuirassé, navire amiral de la flotte d’Extrême-Orient qui parfois relâche à Shanghai.
    — Nous vous devons des excuses, madame Esparnac, dit le consul, assis dans le fauteuil qui fait face au canapé où il l’a invitée à prendre place.
    Dès le lendemain de son retour à Shanghai, Olympe est venue protester vigoureusement contre l’arraisonnement de sa jonque par la canonnière américaine. Un contrôle nul et non avenu, a-t-elle répété devant le consul. Le captain de la canonnière, un certain Michaël Gates, se tient debout à côté du consul, très droit dans son uniforme blanc, sa casquette sous le bras, presque augarde-à-vous mais tête basse. Il est à peine plus grand qu’elle, mince et étroit comme un adolescent qui aurait refusé de grandir et son visage émacié, ses pommettes d’Indien, sa bouche à peine visible, son front bombé lui donnent l’apparence d’un ascète oriental égaré dans la vie séculière. Olympe a plusieurs fois constaté que, parmi les soldats et marins qui s’aventurent sous ces latitudes, certains possèdent cet air fiévreux, ces joues creuses, ce front haut, cette fébrilité tranquille que donne la fréquentation quotidienne de dangers incandescents, de parages grandioses mais hostiles,

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