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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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autres, les fiacres et les cabriolets s’immobilisent devant les grilles grandes ouvertes du Trianon. Il est à peine six heures et la splendide demeure des Esparnac est déjà envahie par les invités. La plupart d’entre eux n’a pas eu la patience d’attendre et s’est présentée bien avant l’ouverture officielle de la réception. Toute la rue est ornée d’arceaux géants où sont fixées des guirlandes de fleurs blanches. Des groupes de Chinois et quelques Européens, coolies, employés de bureau, domestiques des maisons voisines, enfants venus de la ville fortifiée encombrent les trottoirs pour admirer les femmes en robe longue et les hommes en habit. À l’ouest, le soleil qui descend sur le Huangpu couvre d’un voile d’or la façade immaculée du Trianon et une légère bise promène des parfums sucrés jusque dans le parc. Il est rare qu’un soir de mai soit aussi doux. Certains y voient un signe favorable et de bon augure pour l’avenir de la jeune fille. Dans le grand hall où l’immense lustre de cristal flamboie dans les derniers rayons du soleil, Olympe accueille chaque invité de quelques mots aimables, secondée par Louis qui, lui aussi, fait son entrée dans le monde comme héritier désigné de l’empire Esparnac et futur maître de maison. Avec tact, Patrick O’Neill se tient légèrement en retrait pour ne pas avoir l’air de s’imposer même si personne n’ignore, en ville, qu’il est depuis longtemps l’amant officiel de la Reine du Yangzi.
    Laure, dans le salon d’honneur, court des uns aux autres avec la grâce aérienne des filles du vent. Dans une robetoute simple de soie blanche, ses longs cheveux noirs ondulant librement sur ses épaules, elle ne ressemble à aucune de ces débutantes à anglaises que l’on voit au bal annuel de la bonne société britannique. Une fine ceinture de soie rouge souligne sa taille mince et elle s’est amusée à chausser des souliers de même couleur, espérant bien choquer les bien-pensants. Tous ceux qui ont connu son père s’émeuvent de la voir si semblable à ce qu’il était. Mais ce qui les frappe le plus, ce sont ses prunelles de ténèbres ardentes qui magnétisent tous ceux qu’elles croisent. On ne sort pas indemne d’un tel regard. Même les hommes les plus blasés en bredouillent ou mettent quelques secondes avant de balbutier des mots maladroits. C’est d’abord un silence respectueux qui accompagne ainsi Laure chaque fois qu’elle salue un couple d’invités ou un vieil ami de la famille. Samuel Lawson lui-même, qui la connaît depuis son enfance, reste muet devant une beauté si surnaturelle pour Shanghai. 
    — Tu es presque aussi grande que ton père, dit-il avec émotion.
    Prématurément usé par le climat, le vieux taipan anglais ne dirige plus que de loin ses affaires, mais il a tenu à venir fêter Laure pour respirer le parfum de la jeunesse, lui à qui sa femme n’a pas pu donner d’enfants.
    — Te contempler me rajeunit de dix ans ! s’écrie-t-il d’une voix que l’âge fait trembler. Tu es une fontaine de Jouvence.
    Touchée par le compliment de cet homme dont elle a toujours adoré l’accent anglais, Laure plante deux baisers sur ses joues rasées de frais, le prend par le bras et l’entraîne vers l’un des buffets dressés au fond du salon. On la suit, on se presse autour d’elle. Elle rit. Laure est de ces jeunes filles dont la beauté est si éclatante qu’elle agit comme un aimant sur ceux qui l’approchent. On veut lavoir de près, l’effleurer comme on touche un talisman et recueillir au bout des doigts un peu de cette beauté qui reste inaccessible au commun des mortels.
    Sur une table, les cadeaux s’accumulent, paquets enrubannés de toutes tailles et de toutes formes refermant des présents qu’elle découvrira plus tard. René Mattéoli, radieux au bras d’une jeune et belle Chinoise, a déposé une grosse boîte, et le directeur de la Banque d’Indochine, M. Arranger, venu avec son épouse, a glissé parmi tous les paquets un petit coffret soigneusement emballé qui dissimule un ravissant camée monté en pendentif. Le plus beau cadeau sera, mais Laure ne le sait pas encore, celui offert par Joseph et Marie-Thérèse Liu : une parure de diamants qu’ils ont fait monter chez Max Sennett, le meilleur joaillier de Nankin Road, un Alsacien qui a fui l’occupation prussienne, s’est installé à Shanghai et va chercher tous les ans ses pierres précieuses jusque

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