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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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chez les Yakoutes, en Sibérie orientale.
     
    Fêtée comme elle ne l’a jamais été, Laure rayonne de bonheur mais, parmi tous ceux qui la félicitent, l’embrassent, l’admirent, elle en cherche un seul, les yeux perpétuellement en éveil, guettant chaque mouvement à l’entrée du grand salon ou dans le parc. En vain.
    — Permettez-moi de vous féliciter, mademoiselle, dit le consul de France, M. de Bezaure, arrivé depuis peu à Shanghai. Vous êtes la perle de cette ville.
    Les joues empourprées, Laure remercie le diplomate d’une gracieuse révérence et le gratifie de son plus éclatant sourire.
    — Je vous présente mon jeune collègue, Paul Claudel, poursuit le consul.
    L’homme doit avoir une trentaine d’années. Petit, la tête ronde, le cheveu rare, une fine moustache qui donneun peu de relief à son visage lunaire, il pourrait passer inaperçu ou banal si ses yeux, électrisants, ne captaient pas son interlocuteur. Laure, qui s’apprêtait à le saluer hâtivement, reste captivée par ce curieux homme sur lequel elle a envie d’en savoir plus.
    — Vous êtes donc diplomate ? questionne-t-elle en gardant sa main dans la sienne.
    — Bien modestement, répond Claudel. Je ne suis que consul suppléant, à Fu Zhou d’abord puis à Hankéou sur le Yangzi.
    — Mon père a beaucoup navigué sur le fleuve Bleu.
    — Je sais, son souvenir reste très vivace chez les gens du Fleuve.
    — Et que fait un diplomate à Hankeou ?
    — Il négocie avec les Chinois pour un projet de train jusqu’à Pékin.
    — Ce doit être passionnant.
    — Pas toujours ! Mais surtout il écrit.
    — Vous êtes écrivain ?
    — Poète serait plus juste.
    — Et l’on peut lire vos vers ?
    — Si vous trouvez La Revue blanche ici, à Shanghai, oui. Mais j’en doute.
    — Je pourrais la commander ?
    — Ou moi vous en faire parvenir un exemplaire, mademoiselle, avant mon départ pour le Japon.
    — Décidément, vous avez la bougeotte. Vous dansez ?
    — Pardon ?
    — Pourriez-vous m’inviter à danser, monsieur Claudel ? L’orchestre va se mettre à jouer et je n’ai pas de cavalier.
    Paul Claudel rougit intensément. Très embarrassé, il se recule légèrement et bredouille :
    — Je suis confus, mademoiselle, mais je sais à peine danser.
    Laure ouvre de grands yeux étonnés.
    — Mais que vous apprend-on dans la diplomatie ?
    — À être diplomate, mademoiselle. C’est-à-dire à ne pas danser, justement, répond Claudel.
    Après l’avoir saluée d’une légère inclination de la tête, il s’éloigne alors que l’orchestre entame une valse. Décontenancée, Laure regarde autour d’elle dans l’espoir de trouver celui qu’elle attend, le seul qui pourrait la consoler de n’avoir pas ouvert le bal de ses dix-huit ans avec un poète diplomate. Mais Marc Liu n’apparaît toujours pas et c’est Louis, finalement, qui, la voyant désemparée, s’avance vers elle, la prend par la main et l’entraîne sur la piste.
    — Ah, mon frère, murmure-t-elle. Toujours là pour sauver la petite sœur, n’est-ce pas ?
    Louis sourit. Elle est aussi grande que lui, aussi brune que lui est blond, si différente et pourtant si semblable, et l’emporter dans cette valse, la première qu’ils dansent ensemble, l’emplit d’un bonheur inattendu. Il n’avait pas réalisé à quel point elle est devenue femme et s’en trouve suffisamment intimidé pour ne pas la serrer contre lui. À peine se sont-ils élancés sous les applaudissements qu’Olympe et Patrick O’Neill s’enlacent à leur tour et se mettent à valser. La grâce d’Olympe, son sourire radieux, sa silhouette si légère entre les bras de son amant éclipsent un instant la beauté de sa fille, sauvage resplendissante que son frère semble avoir domestiquée le temps d’une danse. Bientôt le parquet d’acajou du grand salon se couvre de couples tournoyant sur les cadences de Strauss.
    Jamais Shanghai n’a connu soirée plus élégante et plus joyeuse. Sans doute les bals organisés par les Anglais ou les Américains sont-ils somptueux, mais si compassés que l’atmosphère y est rarement aussi gaie. De plus, ils s’achèvent au plus tard à minuit. Ceux offerts par les consulats lors des fêtes nationales sont encore plus guindés et sil’on veut se distraire vraiment, il faut aller dans les cabarets de Bubbling Wells Road ou du côté de l’hippodrome. Tandis que, ce soir, tout ce que la ville compte de célébrités, de

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