La Reine étranglée
qu’on
pût les distinguer des femmes honnêtes.
Au petit jour, Quatre-Barbes invita
son ami à venir faire toilette dans son casernement du Louvre ; et vers
none, brossé, astiqué, rasé jusqu’au sang, Bersumée se présenta au corps de
garde du Palais pour y demander messire de Pareilles.
Le capitaine général des archers ne
montra aucune hésitation après que Bersumée lui eut expliqué son cas.
— De qui recevez-vous vos
instructions ?
— De vous, messire.
— Qui, au-dessus de moi,
commande à toutes les forteresses royales ?
— Monseigneur de Marigny,
messire.
— À qui devez-vous en référer
pour toutes choses ?
— À vous, messire.
— Et par-dessus moi ?
— À Monseigneur de Marigny.
Bersumée retrouvait ce sentiment
d’honneur à la fois et de protection que connaît le bon militaire devant un
homme porteur d’un grade supérieur au sien, et qui lui dicte une conduite.
— Alors, conclut Alain de
Pareilles, c’est à Monseigneur de Marigny qu’il vous faut délivrer cette
missive. Mais veillez à la lui remettre en main propre.
Une demi-heure plus tard, rue des
Fossés-Saint-Germain, on vint annoncer à Enguerrand de Marigny, qui travaillait
dans son cabinet, qu’un certain capitaine Bersumée, venant de la part de
messire de Pareilles, insistait pour le voir.
— Bersumée… Bersumée… dit
Enguerrand. Ah ! C’est l’âne qui commande à Château-Gaillard. Qu’il entre.
Tout tremblant d’être introduit
devant un si grand personnage, Bersumée eut quelque peine à sortir de dessous
son hoqueton et sa cotte la lettre destinée à Monseigneur d’Artois. Marigny la
lut aussitôt, fort attentivement, et sans que rien parût sur son visage.
— Quand cela a-t-il été
écrit ? demanda-t-il.
— Le jour d’avant-hier,
Monseigneur.
— Vous avez fort bien agi en me
l’apportant. Je vous en complimente Assurez Madame Marguerite que sa lettre ira
où elle doit aller. Et s’il lui vient envie d’en écrire d’autres, faites-leur
prendre le même chemin… En quel point se trouve Madame Marguerite ?
— Comment on peut se trouver en
prison, Monseigneur. Mais elle résiste mieux, à coup sûr, que Madame Blanche,
dont l’esprit paraît un peu se déranger.
Marigny fit un geste vague qui
signifiait que l’esprit des prisonnières lui importait peu.
— Veillez à leur santé de
corps, qu’elles soient nourries et chauffées.
— Monseigneur, je sais que ce
sont vos ordres, mais je n’ai que du blé noir à leur servir, parce qu’il m’en
reste un peu de réserve Pour le bois, il me faut envoyer mes archers en
couper ; or je ne peux exiger trop fréquentes corvées d’hommes qui ne
mangent pas à leur suffisance.
— Mais pourquoi cela ?
— L’argent me manque à
Château-Gaillard. Je n’ai point reçu de quoi aligner mes hommes en solde, ni
renouveler les fournitures qui sont au prix que vous savez, par ce temps où la
famine sévit.
Marigny haussa les épaules.
— Vous ne m’étonnez point,
dit-il. Partout il en va de même. Ce n’est pas moi, ces derniers mois, qui ai
gouverné le Trésor. Mais les choses vont revenir en ordre. Le payeur de votre
bailliage vous alignera avant une semaine. Combien vous doit-on à
vous-même ?
— Quinze livres six sols,
Monseigneur.
— Vous allez sur-le-champ en
recevoir trente.
Et Marigny appela un secrétaire pour
qu’on raccompagnât Bersumée et qu’on lui payât le prix de son obéissance.
Demeuré seul, Marigny relut la lettre
de Marguerite, réfléchit un moment, et puis la jeta dans le feu ; et il
resta devant la cheminée tout le temps que le parchemin mit à se consumer.
Il se sentait vraiment en cet
instant le plus puissant des personnages du royaume ; il tenait en main tous
les destins, même celui du roi.
TROISIÈME PARTIE
LE PRINTEMPS DES CRIMES
I
LA FAMINE
La misère des hommes de France fut
plus grande cette année-là qu’elle ne l’avait été depuis cent ans, et le fléau
des siècles passés, la famine, réapparut.
À Paris, le prix du boisseau de sel
atteignit dix sous d’argent et le setier de froment se vendit jusqu’à soixante
sous, taux jamais atteints. Cet anormal enchérissement résultait, certes, en
premier lieu, de la désastreuse récolte de l’été précédent ; mais il était
dû aussi pour une bonne part à la désorganisation de l’administration, à
l’agitation que les ligues baronniales entretenaient en plusieurs
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