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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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retournait.
    — À ta place, capitaine, disait
le chapelain, je ferais remettre la lettre au grand inquisiteur, qui est aussi
le confesseur du roi. Elle a écrit : « Je confesse. » C’est une
affaire d’Église et une affaire royale… Si cela t’oblige, je veux bien m’en
charger. Je connais le frère inquisiteur ; il est de mon couvent de
Poissy…
    — Non, j’irai moi-même,
répondit Bersumée.
    — Alors, ne manque pas de
parler de moi, si tu vois le frère inquisiteur.
    Le lendemain, ayant passé les
consignes au sergent Lalaine, Bersumée, coiffé de son chapeau de fer et monté
sur son meilleur bidet, prit la route de Paris.
    Il arriva le jour suivant, en milieu
d’après-midi, alors qu’il pleuvait à torrents. Boueux jusqu’aux yeux, le
hoqueton trempé, Bersumée pénétra dans une taverne voisine du Louvre, pour s’y
restaurer et y faire réflexion. Car tout le long du chemin l’inquiétude n’avait
cessé de lui moudre la tête. Comment savoir s’il faisait bien ou mal, s’il
agissait pour ou contre ses intérêts ? Devait-il en référer à Marigny, ou
bien se rendre chez Monseigneur d’Artois ? À enfreindre les ordres du
premier, que gagnerait-il auprès du second ? Marigny… d’Artois… d’Artois
ou Marigny ? Ou bien alors, pourquoi pas le grand inquisiteur ?
    La providence parfois veille sur les
sots. Tandis que Bersumée se séchait le ventre au feu, une grande claque
appliquée sur le dos le tira de ses méditations.
    C’était le sergent Quatre-Barbes, un
ancien compagnon de garnison, qui venait d’entrer et l’avait reconnu. Ils ne
s’étaient pas vus depuis six ans. Ils s’embrassèrent, reculèrent pour s’examiner,
s’embrassèrent encore, et à grand bruit réclamèrent du vin afin de célébrer
leurs retrouvailles.
    Quatre-Barbes, un gaillard maigre
aux dents noires et aux prunelles logées dans le coin des yeux, était sergent
d’archers à la compagnie du Louvre ; il avait ses habitudes dans cette
taverne. Bersumée l’enviait de résider à Paris. Quatre-Barbes enviait Bersumée
d’être monté en grade plus rapidement, et de commander une forteresse. Tout
allait donc bien puisque chacun pouvait se croire admiré de l’autre !
    — Comment ? C’est toi qui
gardes la reine Marguerite ? On dit qu’elle avait cent amants. La cuisse
doit lui brûler, et je gage que tu ne t’ennuies guère, vieux pendard !
s’écria Quatre-Barbes.
    — Ah ! Ne crois pas
cela !
    Des gaillardises, ils passèrent aux
souvenirs, puis aux problèmes du jour. Qu’y avait-il de vrai dans la prétendue
disgrâce de Marigny ? Quatre-Barbes devait savoir, lui qui vivait dans la
capitale. Bersumée apprit ainsi que Monseigneur de Marigny avait triomphé des
noises qu’on lui voulait chercher, que le roi trois jours plus tôt l’avait
rappelé et embrassé devant plusieurs barons, et qu’il était à nouveau aussi
puissant que jamais.
    « Me voilà fourré dans de bons
draps avec cette lettre…», pensait Bersumée.
    La langue déliée par le vin, Bersumée
glissa vers les confidences, et, demandant à Quatre-Barbes de lui jurer un
secret qu’il se montrait lui-même incapable d’observer, lui révéla la raison de
son voyage.
    — À ma place, comment
agirais-tu ?
    Le sergent balança un moment son
long nez au-dessus du pichet, puis répondit.
    — À ta place, j’irais prendre
les ordres de messire de Pareilles. Il est ton chef. Au moins tu te seras mis à
couvert.
    — C’est bien pensé. Ainsi
ferai-je.
    L’après-midi s’était écoulé à parler
et à boire. Bersumée était un peu ivre, et surtout se sentait soulagé puisqu’on
avait pris une décision pour lui. Mais l’heure était trop avancée pour qu’il
l’exécutât sur-le-champ. Et Quatre-Barbes, ce soir-là, n’était pas de garde.
Les deux compagnons soupèrent dans la taverne ; l’aubergiste s’excusa de
n’avoir à leur servir que des saucisses aux pois, et se plaignit longuement des
difficultés qu’il rencontrait pour se ravitailler. Le vin seul ne lui manquait
pas.
    — Vous êtes encore logé à
meilleure enseigne que nous, dans nos campagnes ; on commence à y vendre
l’écorce des arbres, dit Bersumée.
    Après quoi, pour que la fête fût
complète, Quatre-Barbes entraîna Bersumée dans les ruelles, derrière
Notre-Dame, chez les filles follieuses qui, par ordonnance datant de Saint
Louis, continuaient à porter les cheveux teints couleur de cuivre, afin

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