La Religion
élevé ? »
Ruggiero baissa la tête. « Le père travaillait aux chantiers navals, jusqu’à ce qu’il soit écrasé en carénant une galère.
– Tu sais encore quelque chose sur le garçon ?
– Je l’ai vu pour la dernière fois lorsqu’il avait sept ans, quand l’accord passé pour ses frais d’entretien s’est achevé, un traitement que j’ai fourni de ma propre poche.
– Orlandu Boccanera, dit Tannhauser. Donc, le mieux que tu saches, c’est qu’il est encore en vie et dans le Borgo ? »
Ruggiero acquiesça. Tannhauser prit la statue de la Madone sur le bureau et la colla dans les mains de Ruggiero. « Tout ceci, tu le jures sur la Sainte Vierge, et sur ta vie, que tu perdras, et qui sera damnée si tu mens.
– Tout ceci, dit Ruggiero, je le jure sur le sang du Christ.
– Orlandu Boccanera. » Tannhauser murmura à nouveau le nom comme si c’était un charme. « Tu n’as jamais dit à la comtesse ce que tu avais fait. Pourquoi ?
– Le temps que je place le bébé chez Boccanera et que je revienne du Borgo, dame Carla était partie, sur une galère pour Naples. Le contrat de mariage était déjà scellé. Je ne l’ai jamais revue. Mon maître don Ignacio préfère les choses bien faites.
– Effectivement. »
Tannhauser pensa à Carla et son cœur en fut transpercé. Entassée dans une galère puante tout en étant encore déchirée et épuisée par l’accouchement. Toujours effondrée par le chagrin et l’ignominie, et bannie vers les terreurs inconnues d’une terre lointaine. À seulement quinze ans. Ce n’était pas la première fois que Tannhauser remarquait la violence et la cruauté dont étaient capables les Francs envers leur propre famille, surtout quand on en venait à la honte et à l’honneur de la famille. Les incartades sexuelles les menaient à la folie. Au meurtre. Tannhauser n’était pas exactement délicat quand on en venait aux actes de cruauté, mais celui-ci lui faisait bouillir les sangs. Un stratagème lui vint soudain à l’esprit.
« Bon, dit-il. J’aime également que les choses soient bien faites. »
Ruggiero se rétrécit dans son fauteuil.
« En tant que majordome de cette maison, es-tu familier avec toutes les affaires de don Ignacio ? Ou au moins les comptes, le paiement des loyers et ce genre de choses ?
– Je suis au courant de tout, messire. Sa grâce dépend entièrement de moi.
– Et tu as les talents et le savoir pour rédiger un document légal simple, disons à la manière d’un testament sur un lit de mort – des dernières volontés –, dans lequel le comte pourrait établir clairement ses souhaits pour les dispositions de tous ses biens terrestres ? »
Ruggiero le fixait, stupéfait.
« Tu as perdu ta langue ? fit Tannhauser.
– Oui, je pourrais rédiger un tel document.
– Et il ferait force de loi ? Je veux dire, pourrait-il tenir face aux avocats de l’Église ?
– Je ne peux pas le dire avec certitude. Le testament, au minimum, requerrait un témoignage, d’un gentilhomme de bonne réputation.
– Tu l’as devant toi. »
Ruggiero se tourna dans son fauteuil. « Alors, je dirais qu’un tel document aurait au moins une bonne chance de reconnaissance légale, qui dépendrait de l’habileté de ses avocats.
– On s’occupera de passer ce pont plus tard. » Tannhauser agita le certificat dans sa main. « Une fois que tu avais récupéré ceci, la menace du prêtre ne courait plus. Pourquoi l’avoir préservé avec un tel soin ?
– J’espérais que ma dame Carla reviendrait un jour.
– Tu n’as jamais pensé à lui écrire ?
– Souvent. » Ruggiero se courba sous le regard de Tannhauser. « J’avais trop peur. De réveiller le scandale. Et de l’angoisse de don Ignacio. De sa rage. »
Tannhauser se remémora la créature pourrissant près de son feu dans les étages en dessous. « Je ne peux te blâmer pour cela, dit-il. Sache que Carla est ici. Dans le Borgo. »
Ruggiero se leva d’un coup, comme si elle venait d’entrer dans la pièce en chair et en os.
« Elle a une dette envers toi, dit Tannhauser, et moi aussi, maintenant. »
Il replia le certificat et sortit sa petite boîte de nacre. Il l’ouvrit et fit tomber deux pilules de Grubenius dans sa paume. Elles brillaient, huileuses et pailletées de jaune à la lumière de la lampe. Ruggiero les regardait.
« Ces pierres sont la médication la plus puissante
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