La Religion
trot et massacrèrent les musulmans un par un. Leurs armes et leurs harnachements étaient maculés de sang et de cervelle. Leurs montures de guerre s’ébrouaient, cognaient des côtes d’un coup d’épaule, écrasaient des crânes avec leurs sabots couverts de fer et coupaient des mains et des doigts avec leurs grandes dents carrées. Le commandant du camp et sa garde furent embrochés à la lance comme un troupeau de cochons et tandis que l’étendard turc était triomphalement brandi vers le ciel, quelques chevaliers mirent pied à terre pour fouiller les ruines en quête de trophées et achever les blessés gémissants là où ils étaient.
Tannhauser fit avancer Buraq dans les décombres. Il se pencha sur son cou pour lui murmurer un gazel , car l’animal était gentil et peu habitué à la puanteur des conséquences d’une bataille. Comme ils avançaient vers la tente safran, les prières des blessés furent réduites au silence, une par une, jusqu’à ce que seul le son de la victoire demeure. Les chevaliers, si durs d’habitude, étaient euphoriques de leur succès complet, et des sourires étincelaient un peu partout, pendant que des remerciements joyeux étaient adressés aux saints et que des plaisanteries grossières fusaient à propos d’un corps démembré ou d’une tête tranchée. Pourtant cela ne troublait en rien l’efficacité dont ils usaient pour accomplir leur tâche. Ils massacrèrent les mules capturées en troupeaux criards et firent éclater les barils d’eau potable. Sur la berge de la baie, ceux désignés pour démolir les affûts d’artillerie et pour planter des clous dans les canons travaillaient comme un seul homme. D’autres roulaient vers les hauts-fonds les tonneaux de poudre à canon, entassés çà et là en abondance, ouverts à coups de hache pour que leur contenu se répande dans l’eau. Des sacs de farine et des provisions, en tonneaux ou en balles, suivaient le même chemin, jusqu’à ce que la plage ressemble aux épaves d’une catastrophe maritime. Et tout ceci sans jamais se servir de feu, même si cela eût été plus rapide, car une longue chevauchée les attendait pour rentrer à Mdina et leur nombre était très réduit.
Par endroits le sol était encombré d’entrailles et maculé de sang ; Buraq renâclait de dégoût et Tannhauser l’écartait pour les éviter, tout en cherchant le chevalier de Lugny. En faisant le tour des massacrés qui avaient livré leur dernier combat autour de la tente safran, Tannhauser aperçut un mousquet de neuf paumes sur le sol. Son amorce fumait encore. Sa crosse était aplatie sous le cadavre de son propriétaire. Le métal bleu nuit du canon damasquiné, qui semblait luire du fond de sa propre substance, et les arabesques de fils d’argent dont le bois était marqueté annonçaient le travail d’un maître armurier. Il repéra son emplacement dans les ruines et rejoignit Lugny qui, en selle, donnait des ordres à Escobar de Corro. De Corro posa quelques questions que Tannhauser n’entendit pas.
« Retournez au Borgo immédiatement, dit Lugny, et emportez ça. » Il tendit à de Corro l’étendard au croissant rouge. « Cela leur remontera le moral. »
Lugny se tourna vers Tannhauser en inclinant la tête.
« Une bonne matinée de travail, capitaine Tannhauser, dit Lugny. L’angélus n’a pas encore sonné et nous n’avons même pas un blessé. Acceptez mes compliments de la part du maréchal Copier.
– Ne traînez pas trop, dit Tannhauser. Quand la batterie n’ouvrira pas le feu, Torghoud comprendra ce qui se passe et il enverra des spahis en espérant vous prendre en embuscade.
– Qu’il le fasse », ricana Escobar de Corro.
Tannhauser lui jeta un regard, mais n’exprima pas son opinion. « Avec votre permission, je m’en vais. »
En guise de salut, Lugny leva une épée luisante de sang. « Avec la bénédiction du Seigneur. »
Tannhauser revint sur ses pas, s’arrêta et sauta à terre. Il s’empara du mousquet damasquiné, qui de plus près était encore plus beau qu’il ne le supposait. Il arracha au cadavre un sac de balles et un flacon de poudre. Le mort était un jeune aux traits d’une exquise beauté. Il avait reçu un coup de lance à la base du crâne. Dans son turban était accrochée une rangée de rubis sertis d’or blanc. Il s’en empara aussi. Il remonta en selle et, en accrochant le mousquet le long de sa cuisse, il surprit le regard
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