La Religion
tête.
« C’est Tannhauser qui a fourni le renseignement ? demanda Le Mas.
– Ce n’était pas un acte de charité, répondit Starkey. Tannhauser nous a vendu une quantité colossale d’armes et de munitions pour livrer cette guerre.
– L’homme est un renard, dit Le Mas, non sans admiration. Peu de ce qui se passe à Messine échappe à son attention. C’est un meneur d’hommes aussi, et il ferait certainement un excellent compagnon de combat, car c’était un devshirmé , et il a passé treize ans dans le corps des janissaires du sultan. »
La Valette cligna des yeux. « Les Lions de l’islam », dit-il.
Les janissaires formaient l’infanterie la plus féroce du monde, l’élite des troupes ottomanes, le fer de lance de leur père le sultan. Cette secte était entièrement composée de garçons chrétiens, élevés et entraînés – sous la pression fanatique et impitoyable d’un islam derviche bektasi – à rechercher la mort au nom du Prophète. La Valette regarda Starkey, attendant sa confirmation.
Starkey chercha dans sa mémoire les détails de la carrière de Tannhauser. « La conquête persane, le lac Van, l’écrasement des rébellions safavides, le sac de Nahjivan. » Il vit La Valette ciller une seconde fois. Un précédent venait de se créer. « Tannhauser a gagné le rang de janitor , ou capitaine, et il est devenu membre des gardes du corps du fils aîné du sultan.
– Pourquoi a-t-il quitté les janissaires ? demanda La Valette.
– Je ne sais pas.
– Vous ne lui avez pas demandé ?
– Il n’a pas voulu me donner de réponse. »
L’expression de La Valette changea et Starkey sentit qu’un plan venait de naître.
La Valette prit Le Mas par les épaules pour l’embrasser. « Frère Pierre, nous reparlerons bientôt… du poste d’honneur. »
Le Mas comprit qu’on le congédiait et s’avança vers la porte.
« Dites-moi encore une chose, fit La Valette. Vous disiez que Tannhauser est un meneur d’hommes. Comment se comporte-t-il avec les femmes ?
– Eh bien, il a une admirable troupe de nubiles qui travaillent pour lui. » Le Mas rougit de son propre enthousiasme, car ses incursions occasionnelles dans la débauche étaient bien connues. « Mais je me hâterais d’ajouter qu’elles ne sont pas à louer. Tannhauser n’a pas rejoint les saints ordres et si l’homme a goût pour les femmes – et bon goût, si j’ose dire –, ce n’est pas quelque chose que je retiendrais contre lui.
– Merci, dit La Valette. Je n’en ferai rien. »
Le Mas referma la porte derrière lui et La Valette s’installa dans son fauteuil puis joignit les extrémités de ses doigts pour réfléchir. « Tannhauser. Ce n’est pas un nom noble. »
Pour être envisagé comme membre des chevaliers de l’ordre de Saint-Jean, un homme devait prouver qu’il avait quatre seizièmes de sang noble dans sa lignée. C’était un concept en quoi le grand maître plaçait grande foi.
« Tannhauser est un nom de guerre 2 , dit Starkey, emprunté, je crois, à une légende allemande, qu’il a adopté quand il servait Alva lors des guerres franco-espagnoles.
– Si Tannhauser a passé treize ans parmi les Lions de l’islam, il en sait plus sur notre ennemi – ses tactiques, ses formations, ses humeurs, son moral – que qui que ce soit dans notre camp. Je le veux ici à Malte, pendant le siège. »
Starkey était interloqué. « Mais, frère Jean, pourquoi se soucierait-il de nous rejoindre ?
– Giovanni Castrucco va faire voile pour Messine, sur la Couronne .
– Castrucco ne parviendra jamais à persuader Tannhauser.
– C’est certain, dit La Valette. Vous irez avec lui. Quand Castrucco reviendra, vous ramènerez ce janissaire allemand à Malte.
– Mais je devrai m’absenter cinq jours, et j’ai d’innombrables choses à faire ici !
– Nous survivrons à votre absence.
– Tannhauser ne se joindra pas à nous, même si nous le traînons enchaîné jusque dans nos murs.
– Eh bien, trouvez un autre moyen.
– En quoi est-il si important ?
– Il peut ne pas l’être. Mais faites-le tout de même. »
La Valette se releva. Il revint à la carte et examina le terrain où des milliers d’hommes allaient bientôt affronter leurs vies. « Cette bataille pour notre Sainte Religion ne sera pas gagnée ni perdue par quelque haut fait d’armes, dit-il. Il n’y aura aucune manœuvre brillante
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