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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
     
    L’écriture de Starkey était la plus belle que Carla ait jamais vue. Elle se demanda combien d’heures il avait passé, enfant, à perfectionner ces courbes pleines de grâce, ces élégantes transitions entre les larges traits de plume descendant et les fins traits ascendant, ces espaces invariablement parfaits entre chaque lettre, chaque mot et chaque ligne. C’était l’écriture comme emblème du pouvoir. L’écriture pour qu’un roi marque exactement ce qui était dit – comme les rois le faisaient effectivement, car Starkey rédigeait la correspondance diplomatique de l’ordre. Carla ne l’avait jamais rencontré. Elle se demanda s’il était aussi raffiné que sa calligraphie, ou s’il n’était qu’un moine usé et poussiéreux, penché sur son écritoire. Elle pensa à son propre fils et se demanda s’il savait lire ou écrire. Et devant un tel nouveau rappel de son échec dans ses devoirs maternels, son ventre se serra douloureusement et son désir de retourner à Malte, et sa peur de ne jamais y parvenir, firent monter d’un cran supplémentaire l’intensité de l’urgence.
    Carla replia la lettre et la serra dans son poing. Elle correspondait avec Starkey depuis six semaines. Les précédentes interdictions de son retour avaient été les réponses d’un homme très occupé de futilités et faisant l’effort de répondre uniquement à cause de ses nobles origines et du nom de sa famille. Durant la même période, elle avait demandé à de nombreux chevaliers et capitaines de navires passant par Messine s’ils pouvaient l’emmener à Malte. On l’avait entendue avec la plus extrême chevalerie, et la promesse occasionnelle d’un geste, et pourtant elle demeurait là, à regarder le lever du soleil depuis la villa Saliba.
    Le grand maître La Valette avait décrété que toute personne incapable de contribuer à la défense de l’île était une « bouche inutile ». Des centaines de femmes enceintes, les vieillards et les infirmes, plus un nombre inavoué de la faiblissante aristocratie maltaise, infirme ou pas, étaient tous passés de Malte en Sicile. Tout natif de Malte qui pouvait tenir une pique ou une pelle demeurait sur l’île, sans tenir compte de l’âge ni du sexe. Carla – à leurs yeux une noble mais faible femme qu’ils se sentiraient obligés de protéger – était aussi utile que du bois mort. De plus, le moindre espace sur les galères qui retournaient au Grand Port était réservé aux combattants, au matériel et à la nourriture, et non à des dames désœuvrées nanties d’un inexplicable désir de mourir. Carla méprisait le désœuvrement et ne se considérait certainement pas comme faible. Elle tenait seule son modeste fief en Aquitaine. Elle n’était sous l’autorité ni l’emprise d’aucun homme. Elle et sa bonne compagne Amparo avaient traversé la langue d’oc sous la protection de rien de plus que la grâce de Dieu et l’intelligence de Carla. La récente guerre contre les huguenots avait laissé des cicatrices et un minimum de péril dans son sillage, mais elles avaient atteint Marseille indemnes, et avaient embarqué pour Naples et la Sicile sans sinistre. Qu’elles soient allées si loin sans aide et non accompagnées avait choqué beaucoup de ceux qu’elles avaient rencontrés et, rétrospectivement, Carla admettait que leur voyage avait eu un aspect impétueux, voire téméraire, mais, une fois la décision prise, le fait qu’elles ne puissent pas arriver au moins jusque-là ne lui avait jamais traversé l’esprit. Pour une femme depuis longtemps résolue à diriger sa propre existence, les semaines perdues à étouffer à Messine étaient exaspérantes. La lettre de Starkey était son premier indice d’espoir. Elle avait désormais une valeur militaire potentielle. Si elle pouvait amener ce Tannhauser à monter sur la Couronne à minuit, on lui permettrait de voyager avec lui.
    Lors de ses négociations avec Starkey, les capitaines de bateaux ou les chevaliers, elle n’avait jamais révélé la raison qui la poussait à rentrer chez elle. Le faire aurait confirmé à leurs yeux qu’elle était bien la femelle déséquilibrée qu’ils imaginaient. Seule Amparo savait. Mais Carla ne gardait pas ses motivations cachées par simple diplomatie. Elle gardait son secret par honte. Elle avait un fils. Un fils bâtard, arraché à ses bras douze ans auparavant. Et elle était

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