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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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ou décisive, pas d’Achille ni d’Hector, ni de Samson armé d’une mâchoire d’âne. De telles légendes sont des constructions rétrospectives. Il n’y aura qu’une multitude de petits coups portés, par une multitude de héros bien moindres – nos hommes, nos femmes, nos enfants – dont aucun ne connaîtra l’issue finale, et dont bien peu survivront même pour la voir. »
    Pour la première fois, Starkey aperçut quelque chose comme de l’effroi dans les yeux de La Valette.
    « Les flux de l’épreuve de Dieu sont infinis dans leurs possibilités, et dans l’issue finale, seul Dieu saura qui était celui qui a fait pencher la balance : que ce soit le chevalier qui est mort sur la brèche, ou le jeune porteur d’eau qui a apaisé sa soif, ou le boulanger qui a fait son pain, ou l’abeille qui a piqué l’ennemi dans l’œil. C’est ainsi qu’en fin de compte sont pesés les plateaux de la balance guerrière. C’est pour cela que je veux Tannhauser. Pour son savoir, pour son épée, pour son amour du Turc ou pour sa haine aussi bien.
    – Pardonnez-moi, frère Jean, mais je peux vous certifier que Tannhauser ne viendra pas.
    – Lady Carla continue-t-elle à nous affliger de ses lettres ? »
    Starkey cilla devant ce subit coq-à-l’âne, et la trivialité de son sujet.
    « La comtesse de La Penautier ? Oui, elle écrit toujours, cette femme ignore le sens du mot refus. Mais pourquoi ?
    – Utilisez-la comme levier.
    – Contre Tannhauser ?
    – L’homme aime les femmes, dit La Valette. Qu’il aime donc celle-là.
    – Je n’ai jamais rencontré la comtesse, protesta Starkey.
    – Dans sa jeunesse, elle était d’une grande beauté, et je suis certain que les années l’ont très peu estompée.
    – Cela se peut très bien, mais tout de même, c’est une femme de noble naissance et Tannhauser est, eh bien, quasiment un barbare… »
    L’expression de La Valette interdisait toute prolongation de la discussion.
    « Vous embarquerez sur la Couronne . Vous ramènerez Tannhauser à Malte. »
    La Valette prit le bras de Starkey pour le raccompagner vers la porte.
    « En partant, faites entrer l’inquisiteur.
    – Ne dois-je pas être dans le secret de votre conférence ?
    – Ludovico repartira avec vous sur la Couronne . » La Valette constata sa confusion et tenta un de ses très rares sourires. « Frère Oliver, sachez que vous êtes aimé très chèrement. »
    Dehors, dans l’antichambre, Ludovico Ludovici, juge et juriste de la congrégation sacrée de l’Inquisition, égrenait son rosaire avec l’impavidité irréprochable d’une icône. Il rendit son regard à Starkey sans la moindre expression et, pendant un instant, Starkey se retrouva incapable de parler.
    Ludovico était dans la quarantaine, tout comme Starkey, et pourtant les cheveux de sa tonsure paulinienne étaient noir corbeau et n’avaient pas reculé d’un iota de son front. Son front était lisse, son visage imberbe et l’impression dominante que donnait sa tête était celle d’une énorme pierre sculptée par des forces primordiales. Il était long de torse, large d’épaules et il portait la chasuble blanche et la pèlerine noire de l’ordre des Dominicains. Ses yeux brillaient comme de l’obsidienne polie, ne montrant pas la moindre trace ni de menace ni de chaleur. Ils contemplaient le monde étalé autour de lui comme s’ils le regardaient depuis Adam, avec une franchise apparente qui excluait à la fois la possibilité de la joie et celle de l’horreur, et avec cette extraordinaire discipline de l’intelligence cherchant à ouvrir une brèche au plus profond de celui qu’ils soumettaient à leur regard. Et derrière tout cela palpitait l’ombre d’une fabuleuse mélancolie, d’un regret évoquant une sorte de deuil perpétuel, comme s’il avait aperçu jadis un monde meilleur que celui-ci et qu’il savait qu’il ne le reverrait jamais.
    « Fais de moi le gardien des secrets de ton âme, disaient les insondables yeux noirs. Abandonne tes fardeaux sur mon dos et la vie éternelle sera tienne. »
    Starkey ressentait à la fois un désir pressant de se confier et une anxiété mal définie. Ludovico était le légat personnel du pape Pie IV auprès de l’Inquisition maltaise. Il parcourait mille milles par an à la recherche de l’hérésie. Entre autres exploits, il avait envoyé Sebastiano Mollio, célèbre professeur de Bologne, au bûcher sur le

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