La Religion

Le muezzin lança son appel. Tannhauser se joignit à ses amis pour la prière, et, tout imposteur et blasphémateur qu’il fût, il y trouva du réconfort. Après, le marchand de grains galatéen le plus intrigué par ses prévisions sur le poivre, et qui avait des amis dans la famille Mendes, laissa échapper la rumeur selon laquelle Mustapha prévoyait de surprendre Saint-Elme le lendemain, par une attaque de nuit lors du sabbat des infidèles.
    Nanti de cette friandise pour nourrir Starkey, Tannhauser quitta le camp et mena Buraq à travers l’obscurité, jusqu’à la porte de Kalkara. Comme Mustapha était obsédé par Saint-Elme, le flanc oriental du Borgo était assez peu patrouillé, et il n’eut aucun ennui en chemin. Une journée pour trouver Orlandu Boccanera. Certainement pas plus que deux ou trois. Le garçon avait été élevé dans le Borgo, et c’était probablement là qu’il le trouverait. Et ensuite il emmènerait ceux dont il se souciait loin de cet enfer sur terre, et abandonnerait les autres à la volonté de Dieu.
     
    QUAND IL ATTEIGNIT l’auberge d’Angleterre à son retour de Saint-Ange, la rue Majistral était déserte et le ciel au-dessus était clair et bleu indigo. La lune était montante et elle brillerait pleinement pendant la semaine à venir, mais elle se couchait entre une ou deux heures du matin et ne mettrait pas en péril leur fuite nocturne vers Zonra. Cinq, c’était beaucoup pour passer la garde de la porte de Kalkara, même avec les passe-portes pour Mdina. Mais comment les sentinelles pourraient-elles s’imaginer qu’ils allaient ailleurs ? Il sourit. Les femmes seraient une preuve absolue contre tout soupçon de passage à l’ennemi turc.
    Il entra dans le réfectoire, trouvant Bors et Nicodemus en pleine partie de backgammon. Bors avait cette expression d’anxiété extatique propre aux joueurs compulsifs au bord d’une grosse perte. Un troisième homme qu’il ne connaissait pas était endormi, la tête posée sur la table. Un moignon bandé pendait de son épaule. Amparo surgit de nulle part et jeta ses bras autour de Tannhauser, et il la serra et embrassa ses lèvres appétissantes. Elle était plus étrangement belle que jamais. Son visage allongé, asymétrique, était coupé en deux par la lumière des chandelles, sa pommette fracturée perdue dans l’ombre, et il découvrit qu’elle lui avait manqué et qu’il ne l’aurait pas souhaitée sans ce défaut, même si cela avait été possible. Elle portait le peigne d’ivoire dans ses cheveux et cela le toucha. Il s’arracha à ses bras, et elle aux siens, mais avec réticence. Il posa contre le mur le mousquet Damasquiné roulé dans sa couverture.
    « Ainsi, dit Bors, le grand khan est de retour. » Des ruisselets de sueur séchée zébraient les traces de poudre noire de son visage, lui donnant l’apparence d’un gamin géant et indiscipliné. « Quelles nouvelles de La Mecque ? »
    Tannhauser aperçut la dame-jeanne. « Il reste du vin ?
    – Non.
    – À souper ?
    – Le cuisinier est occupé. »
    Nicodemus lança les dés, et Bors jura vilement et frappa du poing sur la table. La nuit était encore tiède et Tannhauser songea à l’eau fraîche contenue dans sa baignoire. Pourquoi pas ? Il déboucla son cimeterre et déboutonna son caftan. Il regardait Nicodemus faire claquer des osselets blancs autour du plateau de backgammon avec une évidente expertise.
    Tannhauser lui dit, en turc : « Nicodemus, laisse-le gagner. Imagine qu’il n’est qu’un petit gamin que tu aimes tendrement.
    – Il joue comme un gamin, oui, dit Nicodemus. Mais pourquoi devrais-je abandonner le jeu ?
    – Cela apporterait la tranquillité à tout le monde, et ce soir j’apprécierais. Et ce serait un bon investissement pour de futures parties. »
    Bors lança les dés et jura à nouveau. « Ces dés sont ensorcelés. Qu’est-ce que ce chien de Grec vient de dire ?
    – Il m’a dit qu’il aimerait te couillonner, mais il attend que tu prennes ton bain.
    – Il m’a déjà couillonné, une douzaine de fois. Je vais peut-être devoir t’emprunter un peu d’or.
    – Vous jouez de l’or ? »
    Bors se renfrogna, son énorme main sale levée au-dessus du plateau. « Alors, quelles nouvelles, j’ai dit ? Quelles nouvelles ?
    – Ils réchauffent notre dîner en Calabre », répondit Tannhauser.
    Bors oublia momentanément le jeu. Il le regarda avec