La Religion
instants. »
Carla fit passer sa chemise de nuit par-dessus sa tête et la jeta sur le lit.
« Orlandu n’est plus là », dit Amparo.
Carla vacilla sous le coup d’une prémonition terrifiante. Elle ferma les yeux, puis les rouvrit et fixa Amparo. La joie de la jeune femme, toujours réelle, était maintenant nimbée d’ombre. Carla se fit acier.
« Où est-il ? demanda-t-elle avec tout le calme qu’elle pouvait rassembler.
– Je ne sais pas. Tannhauser et Bors sont partis à sa recherche, sur le quai. »
Carla reprit sa chemise de nuit et la remit. La cape suffirait après tout et que ses cheveux aillent au diable. « Le quai de Kalkara ? » dit-elle. Elle prit sa cape au crochet et chercha ses bottes sur le plancher.
« Non, répliqua Amparo. Celui de Saint-Ange. »
Carla s’arrêta net, la cape à moitié passée sur ses épaules.
Sa journée à l’infirmerie l’avait rendue bien trop consciente que le quai de Saint-Ange était le point d’embarquement pour l’abattoir du fort Saint-Elme.
Un cri s’échappa de sa gorge.
Elle se précipita pieds nus dans les escaliers puis se jeta dans la rue Majistral.
SAMEDI 9 JUIN 1565
Zonra – Marsaxlokk – L’auberge d’Angleterre – Le quai
UNE LONGUE MAIS bonne journée, se disait Tannhauser en traversant le Borgo en direction de l’auberge d’Angleterre. Bonne pour lui, du moins. Il venait juste de faire son rapport dans le bureau de Starkey, où ses divers exploits avaient reçu toute l’admiration due, et où il avait trouvé le haut commandement chrétien en état de choc à la suite de vingt-quatre heures de crise au fort Saint-Elme.
Après dix-sept jours de violents combats continus au corps à corps, les Turcs tenaient la douve de Saint-Elme, avaient pris les avant-postes défensifs de la porte principale et avaient bâti des terrassements et des passerelles menant à une brèche colossale ouverte dans le flanc sud-ouest de l’enceinte. Cette situation extrême avait provoqué une mutinerie chez les plus jeunes chevaliers, qui avaient décidé de tenter une sortie pour mourir en hommes, plutôt que d’attendre comme des moutons enfermés dans des ruines indéfendables. Avec le génie qui le caractérisait, La Valette avait fait passer à ces rebelles un message leur enjoignant de « fuir pour rejoindre la sécurité du Borgo ». Accusés de quelque chose de très proche de la couardise, et malgré le courage quasi inhumain qu’ils avaient prouvé maintes et maintes fois, les mutins désespérés – ainsi condamnés à revenir en arrière sous les yeux méprisants de l’ordre dans son ensemble – avaient supplié le grand maître de ne pas les relever de leurs postes, et avaient juré obéissance absolue à tous ses ordres.
Quand Tannhauser quitta Saint-Ange, un renfort de quinze chevaliers et de quatre-vingt-dix miliciens maltais se rassemblaient sur les quais pour traverser les eaux. Tant mieux pour eux, pensa Tannhauser. Car, avec un minimum de chance, le lendemain à la même heure, il battrait lui aussi en retraite et sans vergogne à travers les eaux de la mer couleur lie-de-vin jusqu’aux rivages de Calabre.
APRÈS AVOIR QUITTÉ au matin la cavalerie de Lugny, Tannhauser avait suivi la côte vers le sud pendant deux milles, à la recherche des barques à voile cachées par l’ordre. Il atteignit le hameau côtier de Zonra sans en trouver une. Le hameau – une douzaine de chaumières de pêcheurs – avait été mis à sac par les Turcs et les maisons débarrassées de tout ce qui pouvait servir de combustibles – meubles, portes, architraves, cadres de fenêtres, charpentes. De ce qui avait été une minuscule jetée, ne restaient que les piliers de bois, sciés juste à la limite des eaux. Il suivit le rivage pendant une heure encore, examinant chaque rocher d’une baie en forme de Y sans le moindre succès, et il commençait à se demander si La Valette n’avait pas dissimulé toutes ses barques vers le nord. La plupart des bateaux étaient peut-être bien cachés au nord, oui, car cela les plaçait plus près de Mdina et de la Sicile aussi ; mais tous ? Il continua jusqu’à ce que le rivage s’élève en un promontoire rocheux. Il était assez escarpé pour défier quiconque n’était pas un grimpeur déterminé, et s’avançait d’une centaine de pas dans les vagues. Cela excita son instinct de contrebandier.
Comme la majorité des hommes, Tannhauser n’avait
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