La Religion
jamais appris à nager. Il se déshabilla pourtant et s’avança en pataugeant le long de l’escarpement rocheux. Parvenu à l’extrémité qui faisait face au large, il avait de l’eau jusqu’au cou et il dut ne pas céder à des embrasements de panique quand l’écume lui envahit la bouche, pendant que le schiste glissait sous ses pieds. Il se reprit et fit le tour de la pointe. Il y avait une petite calanque derrière – moins une crique qu’une ride dans la côte – et, avec le sel qui lui piquait les yeux et qui le faisait tousser, il ne vit rien digne d’être remarqué. Il allait jurer pour maudire sa propre astuce et s’accrocher pour regagner la terre sèche quand un mouvement à la surface attira son regard. Ce n’était guère plus qu’une fausse note dans les rebonds de la lumière sur la mer et les rochers, mais il s’essuya le visage et regarda mieux, et elle était là : la coque d’un douze-pieds, accrochée contre le rocher. Une astucieuse longueur de toile avait été clouée le long du plat-bord et drapée sur tout le bateau jusqu’à ce que les bords retombent dans l’eau. Ainsi drapée, la barque prenait l’apparence, même à quelques pieds de distance, d’un simple amas de rocher grisâtre comme la côte en recelait tant. Pour une galère passant à trois cents pieds ou plus – le seul point de vue qu’auraient jamais les Turcs –, le voilier était parfaitement invisible.
La joie de Tannhauser était telle qu’il perdit pied et s’enfonça sous les vagues. Son esprit vacilla, jusqu’à ce qu’il saisisse le rocher à deux mains, retrouve un appui pour ses pieds et se propulse vers le haut pour aspirer de l’air. Il était humilié qu’un élément qu’il aurait dû maîtriser puisse le rendre si impuissant, mais il avança comme un crabe le long du promontoire et atteignit enfin le voilier sans se noyer. Avec de l’eau à la taille et ses doigts de pieds posés sur du rocher solide, il souleva la toile et se glissa à bord.
Dans le fond reposaient deux paires de rames, un gouvernail, un mât et une voile latine roulée. Un tonneau d’eau, un coffre scellé à l’asphalte – il présuma que c’était du biscuit – et, dans une cachette ménagée dans le plat-bord, il y avait un couteau, des hameçons et du fil, ainsi qu’une boussole enveloppée dans du papier huilé. La Sicile était à cinquante milles au nord ; les côtes de Calabre, où personne ne désirait empaler sa tête sur une pique, seulement à cinquante de plus.
Il détacha la barque de deux crochets de fer cloués dans le rocher et la ramena jusqu’au rivage d’un coup de rames. Elle fendait les petites vagues comme une lame, et, avec la voile latine et un souffle de vent, elle battrait à la course n’importe quelle galère. Sur la plage, il récupéra son équipement et laissa à Buraq un sac d’orge à manger. Il rama vers le nord, pour traverser la baie jusqu’à Zonra. Il traîna le bateau sur la plage et le dissimula en bord de mer, à l’abri d’un appentis dont il ne restait que les murs. Il recouvrit la barque de la toile grise et de morceaux de schiste pelletés à la main pendant une heure. De la mer, on ne pouvait pas la distinguer des murs de l’appentis. De la terre, seules des recherches approfondies pourraient la révéler. Et comme le hameau n’avait ni puits ni source et qu’il avait été dévasté récemment, il était improbable que les Turcs reviennent. D’ici, à pied – et même avec deux femmes à la remorque –, ils pourraient mettre les voiles trois heures après avoir quitté la porte de Kalkara.
Tannhauser se rhabilla et, à pied, rejoignit Buraq, enroula son nouveau mousquet de Damas dans une couverture, et poursuivit son chemin vers le sud et la baie de Marsaxlokk, où la majeure partie de la flotte du sultan était encore à l’ancre. Des vaisseaux de ravitaillement faisaient l’aller-retour avec les ports d’Afrique du Nord et les plages fourmillaient. Il fit boire Buraq et se joignit aux prières de l’après-midi, puis prit un thé accompagné d’amandes au miel avec un navigateur égyptien. Ils parlèrent d’Alexandrie et Tannhauser glana que l’amiral Piyale craignait trop le grégal pour affecter plus d’une douzaine de galères au blocus. Quelques-unes patrouillaient le chenal de Gozo et les autres rôdaient au large de l’embouchure du Grand Port, deux secteurs que Tannhauser pouvait aisément éviter.
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