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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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persuadée que son fils était à Malte.
    Elle ouvrit les portes enchâssées de verre qui surplombaient les jardins. Les Saliba, parents lointains de sa propre famille, les Manduca, s’étaient retirés à Capri pour échapper à l’été sicilien et avaient laissé à Carla l’usage de leur maison d’hôte. Elle était élégante et confortable et venait avec un cuisinier, une servante et un intendant ouvertement dédaigneux nommé Bertholdo. Elle avait déjà demandé à Bertholdo d’organiser la livraison d’un message au capitaine Tannhauser, à l’Oracle, mais l’air choqué soigneusement contrefait qui avait accueilli sa requête l’avait convaincue qu’il lui faudrait des semaines pour le faire obéir. De toute manière, la hauteur 1 invétérée de Bertholdo aurait assuré l’échec de sa mission, voire des blessures probablement mortelles sur sa personne, infligées par le propriétaire de l’Oracle.
    Carla regarda dans le jardin. Amparo était à genoux dans les massifs de fleurs, plongée en communion avec une grande rose blanche. De telles excentricités étaient communes chez cette fille et, à force, la liberté d’esprit avec laquelle elle s’y abandonnait avait fini par blaser Carla. Tout en la regardant, une idée lui traversa l’esprit. Carla ne craignait pas de se rendre à l’Oracle en personne. Sa première impulsion avait été de le faire. Elle avait bien assez souvent négocié avec les marchands de Bordeaux. Elle savait, d’expérience, que braver le célèbre Tannhauser dans son antre l’obligerait à assumer la position du plus faible. Or, si elle pouvait l’attirer à venir vers elle, ici, dans les apparats du pouvoir, l’avantage serait sien. Amparo, elle le percevait maintenant, amènerait plus sûrement Tannhauser à la villa Saliba qu’elle ne le pourrait elle-même. Si les messagers ordinaires ne convenaient pas, Amparo était effectivement le plus étrange messager que cet homme recevrait jamais.
    Carla sortit à l’ombre des palmiers, dont les fleurs tiraient leur survie. Amparo embrassa la rose blanche et se releva pour essuyer la terre de ses jupes. Ses yeux étaient toujours fixés sur les fleurs quand Carla s’immobilisa auprès d’elle. Amparo semblait calme. Au réveil, elle était encore submergée par ce qu’elle avait vu, la nuit précédente, dans son instrument divinatoire. Les images issues des éclats de verre et de miroirs étaient si diverses, si extraordinaires, que lorsque l’une d’elles parvenait à quelque chevauchement partiel avec la réalité, Carla avait tendance à croire qu’il s’agissait d’une pure coïncidence. Si on mettait toute coïncidence de côté, les symboles pouvaient fournir n’importe quel sens, selon les désirs de leur interprète. Mais Amparo n’interprétait jamais. Elle ne faisait que voir.
    Elle avait vu un navire noir aux voiles rouges avec un équipage de minuscules singes soufflant dans des trompettes. Elle avait vu un énorme mastiff blanc avec un collier aux pointes d’acier, et qui tenait une torche enflammée dans sa gueule. Elle avait vu un homme nu, le corps couvert de hiéroglyphes, chevauchant un destrier couleur d’or fondu. Et une fois ce cavalier passé, la voix d’un ange lui avait dit : « La porte est large mais le chemin qui y mène est comme la lame d’un rasoir. »
    « Amparo ? » dit Carla.
    Amparo tourna la tête. Il y avait toujours un moment où Carla s’attendait à ce qu’elle continue à tourner la tête pour fixer le lointain, comme si croiser un regard lui faisait mal et qu’elle préférait rechercher au loin quelque chose de plus beau, visible pour elle seule. C’était, chez Amparo, une habitude qui datait de leurs premiers mois ensemble, et cette habitude demeurait envers tout le monde, sauf Carla. Ses yeux étaient de couleurs différentes. Le gauche, aussi brun-roux que l’automne, le droit, gris comme les vents de l’Atlantique. Tous deux semblaient emplis de questions qui ne seraient jamais posées, comme si aucun mot n’existait encore pour les formuler. Amparo avait dix-neuf ans, ou à peu près ; son âge exact était inconnu. Son visage avait la fraîcheur d’une pomme et la délicatesse d’un bourgeon, mais une dépression marquée dans l’os de sa pommette gauche donnait à ses traits une asymétrie dérangeante. Sa bouche ne se courbait jamais en un sourire. Il semblait que Dieu lui avait retiré cette possibilité, comme à

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