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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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bouteilles, tonneaux et paniers, et agita le couteau avec lequel il coupait les miches de pain.
    « Où étais-tu ? lança-t-il en italien. Les soldats ont soif. »
    Orlandu cracha sur le sol, posa la bassine vide et flanqua un coup de pied dedans. Il répondit, en maltais : « Pendant que je rampais dans la merde, tu faisais quoi, espèce de vieux couillon ? »
    Depuis qu’il était là, Orlandu savait que Stromboli avait passé suffisamment de temps à marchander avec les Maltais pour comprendre. Le cuisinier se pencha et lui flanqua un bon coup de poing sur le côté de la tête.
    « Du pain et du vin de Dieu. Voilà ce que je faisais. Et sans moi, la bataille serait terminée. »
    Du couteau, il désigna trois autres bassines qui attendaient, alignées, pleines à ras bord de morceaux de pain trempé dans l’huile d’olive et plongé dans une marinade de vin rouge, de sel et d’herbes revitalisantes. Plus tôt, un chapelain avait béni ces vivres en les aspergeant d’eau bénite. S’il était vrai que ces rafraîchissements maintenaient les hommes sur pied, Stromboli ne témoignait aucune reconnaissance à Orlandu pour les amener jusqu’à leurs bouches.
    « Allez, dépêche-toi, maintenant. Et ne renverse rien. Et longe les murs, sinon la nourriture sera gâchée par tes morceaux de cervelle. »
    Orlandu tint sa langue. Il prit la bassine la plus proche par les deux anses, trouva son équilibre, le récipient collé à ses cuisses bleuies de coups, et franchit la porte pour sortir. Une fois dehors, il la posa et saisit une grosse poignée dégoulinante de cette mixture rougeâtre, comme le faisaient les soldats quand il traînait sa bassine le long de la ligne des combats, et il la fourra dans sa bouche. Il l’avala, mâchant à peine les croûtes douces et succulentes, et la trouva plus délicieuse que tout ce qu’il avait mangé de sa vie. C’était la première fois qu’il avait le bon sens de se nourrir lui-même, et il sentit immédiatement de nouvelles forces se diffuser de son ventre vers ses membres. Stromboli était un bâtard, mais ses bassines étaient emplies d’un élixir. Pain et vin de Dieu. Il avança la main pour en reprendre une poignée, mais le couteau émoussé de Stromboli s’abattit sur son poignet.
    « La nourriture est pour les soldats, pas pour les cochons ! »
    Orlandu reprit la bassine et s’enfonça dans l’obscurité qui régnait sur la cour intérieure. Les cordes lui sciaient les doigts et ses avant-bras le brûlaient, comme ses bras, ses épaules et sa poitrine, son dos, son ventre, ses fesses et ses cuisses. La pauvre armure de cuir qu’il avait volée à Tomaso, qui était large comme un tonneau, lui avait arraché la peau des hanches et des coudes, jusqu’à l’os. Sa respiration lui écorchait la gorge. Il pensa à saint Jean-Baptiste dans le désert, ne survivant que de sauterelles et de miel sauvage. Il pensa au Christ supplicié. Il pensa aux chevaliers en première ligne de cet enfer, depuis des heures sur la brèche et avec Dieu savait combien d’heures à tenir, encore. Il était faible ; mais il deviendrait fort. Il avait déjà porté cette bassine plus loin que les autres. Son corps hurlait. Les cordes glissaient entre ses doigts écorchés. Il allait devoir la poser. Non. Encore dix pas. À huit, la corde glissa de sa main gauche, emportant sa peau avec elle, et la bassine tomba et une grande vague passa par-dessus bord, éclaboussant le sol.
    Il regarda, mortifié, mais Stromboli n’était plus en vue. Il remercia sainte Catherine car là, le long du mur d’enceinte, les dalles étaient en bon état, pas pulvérisées. De ses deux mains, il ramassa ce qu’il avait renversé et le remit dans la bassine. De grosses mouches vertes, abandonnant les corps décomposés, surgissaient des murs en essaims bruissants pour réclamer leur part et il les chassa de la main, mais sans effet. Le vin piquait ses paumes à vif, mais il ne laissa pas un croûton derrière lui. Il roula sa manche et mélangea bien ce qu’il avait ramassé avec ce qui restait dans la bassine, puis il avala une autre pleine bouchée. Elle avait le même goût merveilleux que la première. Les brûlures de ses muscles avaient disparu. Il enleva son casque et le posa contre le mur. Que les Turcs lui éclatent le crâne, il s’en fichait. Il découpa le tissu trempé avec son couteau et enroula les morceaux autour de ses mains.

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